« Un choc de simplification »
Edito du 4 avril 2013
Après les Romains qui ont instauré le principe « Summum jus, summa injuria » que nous avons traduit curieusement par « Trop de loi tue la loi »
Après Montaigne qui déjà nous confie que « nous avons en France plus de lois que tout le reste du monde »
Après Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy qui ont chacun ouvert un chantier de ce type,
Après les spécialistes de la période récente, le député Warsmann, le sénateur Doligé et l’ancien secrétaire d’État Apparu,
Voilà donc la simplification des normes dernier cri : le président François Hollande veut en faire un « choc » dont il attend des solutions pour sortir de la crise. Le premier ministre Jean-Marc Ayrault a confié une mission à Jean-Claude Boulard, Maire du Mans, socialiste et à Alain Lambert ancien ministre de droite et président de Conseil Général de l’Orne.
Dans la forme, le rapport Lambert-Boulard diffère quelque peu des précédents. Les auteurs tentent de convaincre par l’humour. Avec les services d’un bon caricaturiste, ils plaisantent sur eux même et n’hésitent pas à monter en épingle d’assez belles aberrations comme la norme sur le format des œufs qui doivent être consommés dans les cantines scolaires.
Mais, comme dans les travaux de leurs prédécesseurs Doligé et Warsmann, plus on quitte les longues listes dans lesquelles l’on fait de la démagogie facile en mélangeant un peu tout (il est spectaculaire de lister soixante-sept schémas différents : mais qu’y a-t-il de commun entre un schéma éolien, un schéma de la formation tout au long de la vie et un SCOT), plus on se dirige vers les concepts et moins la pensée est efficace : ainsi les deux auteurs n’hésitent-ils pas à écrire que « la norme est un sujet sociétal, politique et économique avant d’être un sujet de droit »
Bien entendu cela est incompréhensible pour un juriste : la norme n’est pas sujet de droit, c’est du droit. Comme d’habitude on ne remonte pas à la source de la difficulté, c’est-à-dire à la production de lois mal faites et de décrets beaucoup trop nombreux (cf. la loi grenelle). Et, bien entendu, on parle de sécurité juridique mais les propositions faites sont à l’opposé de celle-ci.
En matière d’environnement et d’urbanisme, on propose qu’un texte oblige le préfet de région à signer lui-même ses arrêtés au lieu du Dreal : mais n’est-ce pas le préfet qui délègue ses pouvoirs au Dreal et faut-il un nouveau texte pour qu’il reprenne cette délégation ?
Une fois de plus, on veut modifier les pouvoirs des ABF en confiant au préfet du département l’examen de l’appel des décisions de ces fonctionnaires jusqu’ici confié au préfet de région.
Les auteurs oublient que les préfets de département sont désormais soumis au pouvoir hiérarchique des préfets de région et que les ABF sont pour leur part soumis au pouvoir hiérarchique des DRAC : n’est-ce pas créer une nouvelle norme aberrante que de renvoyer au département ce qui dépend hiérarchiquement du niveau régional.
Les auteurs du rapport emploient également le mot à la mode : « facilitatrice ». Une circulaire devrait être « facilitatrice de la norme » laquelle ne devrait plus avoir de conséquences pénales. Mais si la norme c’est le droit, en quoi consiste la facilitation sinon en un contournement dérogatoire ?
L’exemple des règles d’accessibilité destinées à faciliter la vie des personnes handicapées est significatif : qui ne se rappelle pas de la flopée d’amendements rajoutant des règles à la loi Handicap votée sous Jacques Chirac à l’initiative de députés maires qui rentrant chez eux se sont rendus compte, mais un peu tard, des excès commis par eux en tant que législateurs … Le rapport demande aujourd’hui à des ordonnances ou des circulaires de détourner la loi. Ne ferait-on pas mieux de la changer ?
Le Parlement vient finalement de voter la proposition de loi Brottes (voir nos articles sur cette loi). On y trouve cette norme « ciselée » : pour l’application d’un bonus ou d’un malus sur la facture énergétique d’un foyer on prend en compte un certain nombre d’unités de valeurs représentant les personnes vivant au domicile et l’on compte pour moitié les enfants se trouvant sous le régime de la garde alternée ! Attendons un décret et quelques arrêtés, et gageons que dans le prochain rapport sur les normes que ne manquera pas de demander le prochain premier ministre, il en sera question !
Mais le plus difficile à comprendre est que les auteurs d’un rapport déposé le 23 mars ne disent pas un mot de la nécessaire application de l’article 7 de la Charte de l’environnement (voir édito du 21 mars) qui incontestablement va rajouter, dans l’intérêt du « public », quelques normes complexes pour permettre à ce « public » de « participer à l’élaboration » de … la norme. Sans doute proposera-t-on d’ici quelques temps, une circulaire « facilitatrice » de l’application de la Constitution !
Alain de la Bretesche
Président-délégué de la Fédération Patrimoine-Environnement
Président de la COFAC (Coordination des Fédérations des Associations de Culture et de Communication)
Administrateur de la Conférence CPCA (Conférence Permanente des Coordinations Associatives)
Administrateur d’Europa Nostra
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