« Grignon 2023. On ferme, mais pas n’importe comment ! »
La dernière promotion d’environ 350 étudiants de première année vient de faire sa rentrée en septembre à AgroParisTech, précisément sur le site de Grignon.
Dernière, car la prochaine promotion, « la 197 », inaugurera en septembre 2022 les nouveaux locaux du campus Paris-Saclay, qui regroupera l’enseignement agronomique dispensé actuellement à Paris, rue Claude Bernard (déjà vendu) et avenue du Maine, à Massy et à Grignon. Passer d’un domaine de près de 300 hectares de terres agricoles et de bois de rente, à 1,8 hectares de jardins avec un stationnement prévu pour 400 vélos mais aucune place de voitures d’étudiants, tel est entre autres l’enjeu…
Sur ce domaine de Grignon, d’abord offert en 1545 par François 1er à sa favorite Anne de Pisseleu, duchesse d’Etampes, le fils de Pomponne de Bellièvre fit construire en 1636 le château actuel style Louis XIII entouré du mur de 7 kilomètres qui délimite l’objet de la présente vente. La cession comprend, le Château, tous les bâtiments reconvertis de l’ancienne ferme, deux bâtiments récemment rénovés des logements pour les 350 étudiants, une trentaine de bâtiments-laboratoires, l’arboretum de 1874, le jardin botanique, le centre équestre, mais, plus grave, le gisement fossilifère de La Falunière, à l’exception des parcelles mises en place par Pierre Paul Dehérain en 1875.
Une zone d’une trentaine d’hectares est protégée par arrêté préfectoral du 26 mai 2018, et comprend une zone découverte de 5 000 mètres carrés (La Falunière) de l’ère du Lutétien (48 à 40 Millions d’années). Ce site reconnu mondialement ne comprend pas moins de 800 espèces inventoriées de mollusques, référencées au Museum national d’Histoire naturelle Paris, à Londres, Washington, Genève. « Le site de Grignon représente un objet géologique rare en lui-même. L’absence d’équivalent dans le monde en fait donc un bien culturel pour l’humanité » nous informe le texte de classement par le ministère de l’environnement.
Les parcelles agricoles contiguës dites Dehérain sont, elles, uniques également, servant de témoin agronomique sur l’assimilation des matières minérales par les plantes et plusieurs ne recevant aucun élément de fertilisation depuis près de 150 ans, une référence scientifique qui fait l’objet de travaux continus de mesures et de publications internationales.
Charles X acquiert le domaine en 1826 pour le céder à la Société Royale agronomique qui y instaure l’Institution royale Agronomique.
L’école nationale d’agriculture est inscrite au titre des monuments historiques, depuis le 5 Juillet 1941, elle est classée en zone ZNIEFF (*) type II en Île-de-France. On peut y observer deux espèces d’oiseaux protégés (Buteo buteo (Linnaeus, 1758) et Circus cyaneus (Linnaeus, 1758)), ainsi qu’un phanérogame pouvant faire l’objet d’une réglementation préfectorale permanente ou temporaire (Buxus sempervirens L., 1753).
Dans la zone forestière à céder, on remarque la hêtraie calcicole à sous-bois de buis (habitat d’intérêt communautaire et déterminant, donc à protéger également).
La ferme extérieure dite Ferme expérimentale et les 300 autres hectares de terres agricoles hors les murs, terrains de production et de recherches agronomiques, propriété de l’État restent hors du marché. Cette ferme, à moins de 1 kilomètre des lieux d’enseignement et de la résidence, est essentielle pour la pratique du vivant par les étudiants. L’Agronome doit rester dans ses bottes ! Qu’en sera-t-il à Saclay ?
L’État a donc décidé dès 2016 la mise en vente de la partie « intramuros » du Domaine de Grignon, 291 hectares dont 129 hectares de terres agricoles et 138 hectares de bois.
L’appel à projets a présélectionné début 2020, quatre propositions dont une « Grignon 2026 » élaborée par un collectif d’anciens élèves, d’élèves, d’élus locaux et de passionnés par toutes les valeurs et ainsi que par le patrimoine historique, scientifique et culturel dans l’intention de maintenir et sauvegarder l’esprit agricole et agronomique des lieux et l’environnement de ce milieu naturel.
La Commission de sélection a pour l’instant retenu l’offre de Altera Cogedim et sa filiale « Histoire et Patrimoine » connue pour ses autres acquisitions récentes, dont le château de Pontchartrain, assez proche de Grignon, et qui aménagerait et vend déjà 109 logements malgré une procédure juridique en cours liée au permis de construire.
On pourrait alors via Cogedim trouver sur Grignon, l’aménagement de 60 logements dans des bâtiments existants, la construction de 40 nouvelles habitations, un EPHAD et une Résidence Services donc bétonisation, et sans trop connaître quelle sauvegarde des travaux agronomiques, les protections environnementales des sites classés décrits ci-dessus seraient garanties.
On comprend les mouvements de contestation actuels et urgents sur ce projet de Grignon.
Plusieurs mouvements de défense composés d’élus, d’étudiants, de l’association Grignon 2000 et de la commune se sont créés et manifestaient dès fin mars, le 11 septembre à Grignon, à Paris le 30 septembre devant la Direction de l’enseignement et de la recherche du ministère de l’agriculture, accompagnés en cette période électorale de différents représentants politiques de tous bords et des médias.
Le ministre de l’agriculture Julien Denormandie, agronome lui-même, entré à Grignon en 2000, a désigné fin août Gilles Trystram, ex-directeur de l’institut AgroParisTech pour une mission de conciliation. Moultes réunions de concertations et d’analyses du projet pré-retenu ont lieu pour tenter de trouver une solution d’ici à fin décembre, la signature de la promesse de vente ayant été repoussée au 31 décembre.
Après un recours gracieux déposé par des associations, resté sans réponse, Grignon 2000 a cependant déposé le 5 octobre un recours contentieux au Tribunal administratif. La commune, prioritaire pour une reprise, n’a pas encore reçu l’offre de l’État, annoncée oralement à 18 millions d’euros. Elle aura deux mois pour répondre.
A suivre donc très attentivement.
Pierre Del Porto
Président de l’AFMA , Membre du Conseil d’administration de Patrimoine-Environnement
(*) Zone naturelle d’intérêt faunistique et floristique.