En attendant le remaniement
Le maître des horloges l’a décidé, le remaniement du gouvernement n’est pas pour aujourd’hui. Ayons une pensée, plus ou moins attristée selon les cas, pour les Excellences qui sont dans les affres en attendant la voix du Très-Haut.
Mais, « en attendant ce jour » pour éviter de s’ennuyer comme Jacques Brel le fait dire à Zangra examinant le lointain depuis les remparts de « Belonzio qui domine la plaine »*, demandons-nous un peu ce que nous attendons du ministre de la Culture.
- Il est urgent de désigner un titulaire pour les directions générales orphelines depuis plusieurs mois et en particulier pour celle des Patrimoines.
Il faut aussi reconnecter cette direction générale dans les deux sens : en direction du ministre et de son cabinet afin qu’elle soit réellement pourvue de l’autorité nécessaire à l’élaboration de politiques d’application des dernières lois votées.
Mais aussi en direction des DRAC qui ont un urgent besoin, soit d’être explicitement soutenues dans les situations difficiles qui peuvent les opposer à d’autres ministères, soit d’être recadrées nettement lorsque, influencées par les pressions régionales, elles quittent les inspirations légitimes des principes de protection du Patrimoine. Il n’est pas ridicule de penser qu’elles le souhaitent !
Est-il légitime d’espérer ainsi que des scandales comme l’affaire du détournement de Beynac en Dordogne vont cesser ?
- Dans une circulaire du mois de juillet dernier, le Premier ministre a décidé, dans le cadre de la redistribution des rôles des services déconcentrés de l’État, que l’administration du Patrimoine, considérée comme quasi régalienne, devait être protégée. Cette circulaire parle aussi de « redépartementalisation » des services de l’État. Il faudra faire en sorte que cela soit bénéfique pour les UDAP (Unité Départementale de l’Architecture et du Patrimoine). Nous attendons avec une grande impatience le rapport demandé à Philippe Belaval, président du CMN sur la Gouvernance.
Nous espérons que celui-ci fera des propositions pour que le tourisme, grand vecteur économique soit politiquement et administrativement marié au patrimoine.
- Parmi les outils de la préservation du Patrimoine, il faudra suivre de près l’évolution du rôle et du périmètre de la Fondation du Patrimoine. La mission Bern, contrairement à certains commentaires, va en effet profondément modifier le paysage dans lequel se meuvent les acteurs du Patrimoine. Certes, le résultat du Loto, même si tout compte fait, conforme aux prévisions (plus ou moins 20 millions d’euros), peut paraître modeste par rapport aux besoins constatés pour les monuments de la liste adoptée par le ministère et la Fondation. Mais par sa création même et par la convention tripartite signée, le périmètre de la Fondation dont la vocation était celle de la défense du Patrimoine rural et de pays, s’est trouvé étendu aux châteaux et aux bâtiments industriels.
Ce qui est ainsi inscrit dans les faits ne va pas quitter la nouvelle vocation de la Fondation.
Lorsque le ministère est faible, il n’est pas illégitime de penser que la société civile peut inventer des structures privées nouvelles telles le National Trust britannique, riche de ses quatre millions de cotisants et de ses nombreux bénévoles, les « volunteers ».
De même, on sait bien que le budget de la mission Patrimoine, même augmenté cette année à 331 millions d’euros, est gravement insuffisant pour compléter les 20 millions du Loto et qu’il faudra trouver d’autres financements pour satisfaire ce que demande le public qui a montré son engouement pour le Patrimoine, tant par sa participation traditionnelle aux Journées européennes, que par ses achats de tickets relativement chers (15 euros) en grand nombre dans les officines du loto.
- Certains présidents de Régions ont dévoilé des intentions généreuses. Le nouveau fonds en faveur des petites communes de moins de 100.000 habitants devrait d’ailleurs les inciter à abonder aux crédits d’État, fixes pour 2019 à 15 millions d’euros, mais qui paye, a un droit de regard sur les mesures de protection…
- Le nouveau ministre devra tout faire pour stabiliser le droit. Il devra jouer au Parlement le rôle que lui donnent les fonctions qui lui ont été confiées. Il devra appliquer la loi LCAP, dans les zones Unesco, dans les Sites Patrimoniaux Remarquables où les commissions locales sont souvent inexistantes. Il devra jouer son rôle dans les institutions chargées d’appliquer le programme « Action Cœur de Ville » où il n’a envoyé jusqu’à présent que des fonctionnaires dévoués mais sans réel pouvoir de représentation.
- Après la loi Elan et le Xème traumatisme causé par le fameux article 15 de ce texte qui supprime l’avis conforme des ABF dans les Sites Patrimoniaux Remarquables pour l’implantation des antennes de téléphonie mobile, les immeubles à usage d’habitation menaçant ruine ayant fait l’objet d’un arrêté de péril et les immeubles déclarés insalubres à titre irrémédiable en application de l’article L. 1331-28 du code de la santé publique, le dossier prioritaire est de reformer le corps des ABF : leur formation, en particulier à la communication, leur éventuelle mobilité pour s’assurer que l’acte de bâtir fait partie de leurs acquis, l’amélioration de leurs rapports avec les élus. Il n’est pas pensable que dans trois ou quatre ans une nouvelle révolte parlementaire doive être gérée. L’introduction de bénévoles retraités de l’administration ou membres d’associations à l’appui des UDAP devra être envisagée pour pallier au manque de fonctionnaires.
- Les contentieux les plus importants, dans le domaine imparti au ministre de la Culture, sont les contentieux éoliens. Malgré les reformes récentes il faut être un homme politique aussi récent pour croire que les « victimes » de la détérioration de leur paysage vont accepter sans coup férir des décisions aussi dommageables que les implantations d’aérogénérateurs à leur porte. Le ministère de la Culture est taisant. Il faudra qu’il se mette à parler et à dire ce qu’il n’accepte pas.
L’ensemble de ces suggestions est gratuit…
Alain de La Bretesche,
Président de Patrimoine-Environnement
* Zangra – Jacques Brel, 1962