Edito mars 2017
– Proposition 1 – Harmoniser le respect du patrimoine et de l’environnement
– Proposition 2 – Intégrer le respect du patrimoine bâti et paysager dans la mise en ouvre du développement durable
« Quand l’homme essaye d’imaginer le Paradis sur terre,
ça fait tout de suite un Enfer très convenable. »
Paul Claudel, premier président de la Ligue Urbaine et rurale
(conversations dans le Loir et Cher 1935)
Historiquement, deux grandes lois ont gouverné en France la protection du patrimoine et de l’environnement : la mythique loi du 31 décembre 1913 sur la protection des Monuments historiques et la loi du 2 Mai 1930 sur la protection des sites.
Aujourd’hui 44 060 monuments sont inscrits ou classés en France. Les sites classés sont au nombre de 2 700 et les sites inscrits de 4 000. Contrairement aux allégations de certains esprits malveillants qui veulent nous transmettre leur crainte de vivre dans un territoire-musée, les monuments protégés dans notre territoire national sont à peu près aussi nombreux que ceux de la Bavière et s’agissant des sites, leur superficie représente 4 % du territoire national. Il reste encore un peu de place !
Cependant, au plan international les grandes conventions et en particulier celles qui ont été conclues sous l’égide de l’Unesco, si elles continuent à créer des listes distinctes pour le patrimoine naturel et le patrimoine bâti ou encore le nouveau « patrimoine immatériel », elles installent peu à peu l’idée qu’il n’y a pas de différence culturelle entre le paysage, façonné à partir de la nature par la main de l’homme et le patrimoine bâti. C’est notamment l’esprit général de la convention européenne des paysages dont le préambule proclame que : « le paysage (…) concourt à l’élaboration des cultures locales et (…) représente une composante fondamentale du patrimoine culturel et naturel de l’Europe, contribuant à l’épanouissement des êtres humains et à la consolidation de l’identité européenne. »
Qu’en est-il en France ? Depuis la troisième République, le « paysage » gouvernemental a considérablement changé. C’est le ministre de l’Instruction Publique et des Beaux-arts qui a cosigné la promulgation de la loi de 1913 et même si la loi de 1930 a été forgée dans le creuset de la Société pour la Protection des Paysages et de l’Esthétique de la France (SPPEF, aujourd’hui Sites & Monuments) autour de son président de l’époque, le député Charles Beauquier et avec le concours de l’un de nos fondateurs Henry de Segogne, c’est encore le ministre de l’Instruction Publique qui devint le ministre chargé des sites. Il y eut donc, de facto comme de jure une grande complémentarité dans l’application des deux textes jusqu’à l’avènement de la cinquième République.
Le général de Gaulle, créant un nouveau ministère de la Culture pour André Malraux, lui a aussi confié le patrimoine. Puis un ministère de l’Environnement, département inconnu jusque-là, a été confié à Robert Poujade. Mais pendant quelque temps les sites furent confiés au ministère de l’Équipement qui disposait alors d’une administration solide. Au fil des gouvernements successifs une forme de dyarchie s’est créée dans le domaine de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire entre le ministre de l’Équipement et le ministre de l’Environnement. En tout cas les sites, dans la situation d’aujourd’hui, dépendent du pôle écologie, environnement, équipement construction. Deux codes coexistent : celui de l’urbanisme et celui de l’environnement. Les commissions consultées pour avis sont différentes.
Tout cela eut pu s’additionner et l’on eut pu bénéficier de deux protections au lieu d’une.
Mais plusieurs oppositions d’intérêts ont troublé le jeu. Les deux principales furent les grands travaux : autoroutes, voies ferrées, grands aménagements urbains puis, depuis quinze ans les nouvelles sources d’énergie. Le ministère de l’Environnement est écartelé entre la défense des paysages et la promotion des énergies renouvelables (éoliennes ou panneaux solaires). La rupture entre les deux centres de décision est aujourd’hui patente.
Il faut que celles et ceux qui conceptualisent la vie gouvernementale et les grands secteurs de la vie de leur concitoyen trouvent les voies et moyens de regarder par la même fenêtre le paysage et le patrimoine bâti. Il faut d’une manière ou d’une autre faire cesser la dyarchie et la double législation. Il doit être possible et de bon sens de concilier la protection des paysages et la protection du patrimoine !
Le développement durable
Les mêmes qui craignent que les mesures de protection gagnent tout le territoire, dissertent souvent sur le fait que les principes définis par le fameux Rapport Brundtland, en 1987, ne se marient pas bien avec la défense du Patrimoine : ce rapport disait qu’il fallait : « répondre aux besoins du présent, sans compromettre la capacité pour les générations futures de satisfaire les leurs». Il s’agissait de viser «une double solidarité : horizontale, à l’égard des plus démunis du moment, et verticale, entre les générations».
L’union européenne dans l’article 6 du traité CE a stipulé : « Les exigences de la protection de l’environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et des actions de la Communauté […], en particulier afin de promouvoir le développement durable ». Parmi les quatre piliers qu’il est de coutume d’énumérer à l’appui de cette promotion, il en est deux qui nous intéressent. Il s’agit tout d’abord, sur le plan environnemental de « respecter les principales conditions suivantes : l’utilisation, la gestion durable des ressources naturelles (air, eau, sol, vie) et des savoirs humains ; le maintien d’un certain nombre de grands équilibres naturels (climat, diversité biologique, océans, forêts…) ; l’économie des ressources non renouvelables (pétrole, gaz, charbon, minerais…). »
Notre méthode est d’établir et d’expliquer qu’il n’y a pas mieux qu’un moulin établi, il y a mille ans, sur une rivière pour accompagner la gestion durable de l’eau, ressources naturelles par excellence, que la transmission des savoirs traditionnels dans la construction et la restauration vaut largement la prétendue mise en œuvre de « l’isolation par l’extérieur ».
Nous pensons aussi que la défense scrupuleuse des biens du conservatoire du littoral, le respect des arbres et des forêts sont essentiels. Et que, si nous n’avons aucune raison de réfuter le développement des énergies renouvelables, nous sommes capables d’expliquer que certaines d’entre elles sont plus durables que d’autres…..
Mais surtout le développement durable exige, (rappelons que ce principe est inscrit dans la charte de l’Environnement qui figure dans la Constitution), la mise en œuvre de ce concept nouveau : la participation du public à l’élaboration des décisions qui le concernent. Peut-on espérer que l’on applique un jour ce concept, à l’aménagement du territoire et de la ruralité et à la mise en place des outils de l’énergie renouvelable ?
Alain de La Bretesche,
Président de Patrimoine-Environnement