ÉDITO – ARCHITECTURE URBAINE : POURQUOI NE PAS PENSER ENFIN AU BIEN-ÊTRE DES HABITANTS !

Paris, vue aérienne © Françoise Foliot via Wikimedia Commons

AUne publication récente de la Fondation espagnole HAZ[1] rappelle, dès ses premières lignes, cette parole forte de Le Corbusier suivant laquelle : « L’espace, la lumière et l’ordre. Ce sont les choses dont les hommes ont besoin autant qu’ils ont besoin de pain ou d’un endroit où dormir ».

L’être humain interagit en effet avec son environnement : son environnement naturel mais aussi avec son environnement bâti : l’espace, la luminosité, les matériaux, les couleurs, la vue, les espaces verts.

Dans le droit fil d’un tel constat et à l’initiative des États-Unis[2], un nouveau terrain de recherche est apparu dans les années 2000 : la « neuro-architecture »[3] qui, intégrant neurosciences et architecture, cherche à savoir comment les individus interagissent avec l’environnement bâti ou comment la perception des alentours impacte le cerveau humain.

Comme toutes les approches prometteuses, il s’agit d’une démarche interdisciplinaire et comme toutes les approches prometteuses, elle est encore en devenir[4] ! En tout cas dans notre pays, à l’exception de quelques chercheurs[5].

C’est bien dommage, car à l’heure du « ZAN » et du « DPE » – dont nos dernières « JJP » ont abordé les effets négatifs sur le patrimoine et les habitants [6] – ceux qui façonnent nos villes – sans mettre au premier rang l’esthétique, le confort et la santé des habitants – feraient bien de s’en s’inspirer.

Alors que le « mal-être » de populations urbaines, sevrées de lumière et de verdure, s’est révélé avec le confinement dont les effets, psychologiques et physiologiques, n’ont pas fini de se manifester.

Alors que selon l’article précité de la fondation HAZ, des exemples[7] montreraient les bienfaits d’aménagements conçus pour le bien-être de ceux qui y travaillent. Des bienfaits qui rejaillissent, par exemple, sur l’efficacité au travail : un pari architectural qui est donc « gagnant-gagnant ».

S’agissant des espaces de « respiration », des parcs et des jardins, cette démarche rejoint les enseignements précurseurs du fondateur, voici bientôt cent ans, de la Ligue urbaine, une initiative dont notre fédération est la lointaine héritière[8]. L’urbaniste-paysagiste Jean-Claude-Nicolas Forestier (1861-1930) ne s’étant pas contenté de donner des « leçons » : il les mettait en pratique[9].

Dans son ouvrage de référence : « Grandes villes et systèmes de parcs »[10], publié en 1908, Forestier théorise l’expérience qu’il a acquise à la tête de la direction du service autonome des promenades et plantations de la Ville de Paris[11] ainsi que l’observation qu’il a faite du « Park system » américain[12].

En présentant l’œuvre de celui qu’elle qualifie de « figure tutélaire de l’école française d’urbanisme », Bénédicte Leclerc, architecte DPLG et historienne EHESS, rappelle que le « système de parcs » constitue un ensemble hiérarchisé de réserves foncières qui vont du paysage protégé jusqu’au jardin d’enfants, ces réserves étant reliées entre elles par un réseau d’avenues promenades.

La préoccupation des urbanistes de l’époque n’était pas seulement de répondre aux enjeux immédiats d’hygiène et de salubrité induits par le développement urbain, mais aussi de voir loin – dans le temps mais aussi dans l’espace – en associant systématiquement l’extension et l’embellissement des Villes, tout en pensant d’abord au « bien vivre » de leurs habitants. 

Les parcs et les jardins sont alors au cœur de cette conception du développement des villes.

Confronté à la rareté foncière et aux impératifs de court terme, quel maire de grande ville aujourd’hui décidera-t-il de créer de nouveaux « parcs » urbains, en renonçant à construire les emprises libérées par les administrations, les entreprises ou les immeubles qui étaient dotés d’un jardin ?    

Au-delà de déclarations de « bien-pensance » climatique, quand arrêtera-t-on dans les faits de densifier, de bétonner, d’uniformiser, d’enlaidir la Ville ? Quand le « bien vivre » des « urbains », présents et futurs, passera-t-il avant la prise en compte des intérêts du moment ?

A la veille de Noël, c’est le moment de rêver ! Rêvons alors au retour des idées de Forestier ! Et pourquoi ne pas rêver aussi à un nouveau terrain de recherche, aux côtés de la « neuro-architecture » ou du « neuro-urbanisme »  : la « neuro-politique » !


Pour en savoir plus :
Article sur Jean-Claude Nicolas Forester
Portrait de Jean-Claude Nicolas Forestier


[1] Arantza García: “Architectura saludable: dise?o y bienestar” (22 noviembre 2024).

[2] The Academy of Neuroscience for Architecture (ANFA).

[3] Certains allant jusqu’à promouvoir un terrain encore plus large : le « neuro-urbanisme ».

[4] Emmanuelle Picaud : « Neuro-architecture : à la découverte d’une discipline en devenir ». Le Moniteur, 19/1/2024

[5] « Neuroarchitecture : How the Perception of Our Surroundings impacts the Brain ». Article collectif. Biology, publié le 28 mars 2024.

[6] Sur l’esthétique et la durabilité du bâti ancien mais aussi sur le confort et la santé de ses habitants.

[7] Le « biofilic design » promu par la plateforme Human Spaces, le siège de Google dans les Docklands à Dublin.

[8] Après avoir connu une nouvelle naissance avec la Ligue urbaine et rurale dont la fusion avec la FNASSEM, en 2013, est à l’origine de Patrimoine-Environnement.

[9] L’aménagement de l’avenue de Breteuil à Paris,  le réaménagement du parc de Bagatelle du bois de Boulogne, la création et l’extension du parc Maria Luisa à Séville, l’aménagement des parcs de Montjuïc ou du Tibidabo, à Barcelone.

[10] Réédité en 1997 par l’Institut français d’urbanisme (Norma éditions) avec les commentaires experts de Bénédicte Leclerc et de Salvador Tarragò i Cid. 

[11] Créé par l’ingénieur Adolphe Alphand en 1855. Forestier en sera le directeur de 1898 à 1927.

[12] Mis en œuvre par Frederick Law Olmsted (1822-1903), à Boston, New York (Central Park) ou Baltimore.