Décision du Conseil d’Etat du 27 mai 2019 : autorité environnementale, le dilemme de l’autonomie

Dans la continuité des arrêts du 6 et du 28 décembre 2018, le Conseil d’Etat a rappelé l’obligation de séparation fonctionnelle effective entre l’autorité administrative qui instruit une demande d’autorisation et l’autorité environnementale qui émet un avis sur l’évaluation environnementale d’un projet… Une irrégularité régularisable…

Le Conseil d’Etat a été saisi d’un pourvoi contre un arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon annulant les arrêtés du préfet de la Région Auvergne ayant délivré les permis de construire pour l’implantation de 6 éoliennes et 2 postes de livraisons. En effet la Cour a estimé que le préfet avait manqué à son obligation de séparation des fonctions en matière environnementale puisqu’il avait donné un avis en qualité d’autorité environnementale et délivré les permis de construire « sans qu’une séparation fonctionnelle soit organisée au sein de cette autorité, de manière à ce qu’une entité administrative, interne à celle-ci, dispose d’une autonomie réelle, impliquant des moyens administratifs et humains qui lui sont propres, et soit ainsi en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée et de donner un avis objectif sur le projet concerné. »

En effet s’agissant des plans, programmes ou projets à caractère local (1)], les préfets de département ou de région ont initialement été désignés comme autorité environnementale. Les décrets des 2 mai et 23 août 2012 ont confié à ces mêmes autorités administratives l’élaboration ou l’approbation de certains plans et programmes et la compétence d’autorité environnementale pour ces plans et programmes.

S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (20 octobre 2011, Seaport (NI) e a, C-474-10), le Conseil d’État a estimé que si la directive de 2001 n’imposait pas de créer une autorité administrative distincte chargée de la consultation en matière environnementale, il devait être organisée au sein de l’autorité administrative compétente une séparation fonctionnelle garantissant que l’entité exerçant la fonction de consultation en matière environnementale dispose d’une autonomie réelle, impliquant qu’elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui sont propres. Dans deux décisions de juin 2015, il a estimé que cette séparation fonctionnelle n’était pas pleinement assurée par les décrets de 2012 (CE, 26 juin 2015, France Nature Environnement, n° 360212, aux Tables ; CE, 26 juin 2015, France Nature Environnement, n° 365876, inédit). Tirant les conséquences de ces décisions, le décret du 28 avril 2016 a créé les missions régionales d’autorité environnementale du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), plus communément dénommées MRAe.

Les MRAe sont composées de membres permanents et de membres associés, personnalités qualifiées choisies hors de l’administration pour leur compétence en matière environnementale. (2)[

Ainsi le Conseil d’Etat, face à l’irrégularité de l’avis du préfet entraînant l’illégalité des permis, applique sa jurisprudence déjà en place depuis 2018 (CE, 27 sept 2018 n°420119, Association danger de tempête sur le patrimoine rurale) en offrant une possibilité de régularisation du vice.

Il sursoit à statuer. Un nouvel avis pourra rendu par la mission régionale de l’autorité environnementale du CGEDD territorialement compétent et devra être communiqué au public. « Si l’avis de l’autorité environnementale ainsi recueilli diffère substantiellement de celui qui a été porté à la connaissance du public à l’occasion de l’enquête publique dont les permis de construire ont fait l’objet, une enquête publique complémentaire devra être organisée à titre de régularisation, selon les modalités prévues par les articles L. 123-14 et R. 123-23 du code de l’environnement, dans le cadre de laquelle seront soumis au public, outre l’avis recueilli à titre de régularisation, tout autre élément de nature à régulariser d’éventuels vices révélés par le nouvel avis, notamment une insuffisance de l’étude d’impact….b) Si aucune modification substantielle n’est apportée à l’avis, l’information du public sur le nouvel avis de l’autorité environnementale ainsi recueilli prendra la forme d’une publication sur internet, dans les conditions prévues à l’article R. 122-7 du code de l’environnement. ».

Le 11 juillet 2017, dans un Avis délibéré sur le projet de décret portant réforme de l’autorité environnementale des projets, l’Ae elle–même avait pourtant déploré le manque de moyens pour garantir l’autonomie des autorités environnementales (MRAe et Ae) et la cohérence de leurs analyses.


(1) Pour les plans ou programmes comme pour les projets de travaux, d’ouvrages ou d’aménagements de dimension nationale, l’autorité environnementale est confiée au ministre chargé de l’environnement mais pour évaluer des projetspour lesquels l’État est décisionnaire ou impliqué directement ou indirectement, on a créé en 2009 une formation d’autorité environnementale du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), dite Ae, pour rendre des avis indépendants.

(2) Un recours a contesté l’indépendance des MRAe mais le Conseil d’Etat a confirmé leur indépendance suffisante par un arrêt du 6 décembre 2017.

Laurence Deboise,
Service juridique de Patrimoine-Environnement