« Un siècle de protection des Monuments Historiques, pour quel avenir ? » Retour sur le colloque international des VMF qui revenait sur les cent ans de la loi 1913

colloque VMFOrganisé les 12 et 13 juin dernier à la Maison de l’Unesco à Paris, le colloque annuel des Vieilles Maisons Françaises célébrait le centenaire de la loi 1913 qui a institué la protection des Monuments Historiques.

À cette occasion, un bilan de la protection du patrimoine bâti et paysager en France a été réalisé, accompagné d’une analyse comparative de douze autres systèmes internationaux. La parole a été donnée aussi bien à des universitaires qu’à divers acteurs du patrimoine comme par exemple les délégués régionaux des VMF, des élus, des architectes, des propriétaires ou encore des artisans. Il fait suite à une enquête Ipsos[1] dont il ressort que le patrimoine reste un enjeu important pour les français. En effet, seulement 1% estime qu’il soit un enjeu mineur et prouve ainsi le fort attachement actuel de tous les français envers leur patrimoine.

La réflexion internationale menée lors de ce colloque fait surtout écho à la création d’un groupe Patrimoine à l’Assemblée nationale pour préparer le projet de loi qui sera présenté au 1er semestre 2014 selon Vincent Berjeot, directeur général des patrimoines au ministère de la Culture et de la Communication. L’objectif de ce projet de loi étant de tendre à une simplification de la réglementation patrimoniale face à l’enchevêtrement de règlementations et de compétences notamment en engageant une réflexion sur des périmètres plus adaptés autour des monuments historiques et éviter les superpositions de servitudes en favorisant les documents d’urbanisme et la collaboration avec les collectivités territoriales.

Si Kishore Rao, directeur du patrimoine mondial de l’UNESCO, a ouvert le colloque en rappelant le rôle  fondateur et modèle de la loi de 1913 dans les conventions internationales relatives à la protection du patrimoine notamment la convention de 1972 qui protège les sites de valeur universelle, celle-ci subit, selon Marie Cornu, une certaine érosion et demeure invariablement dans le même esprit de conservation et de préservation. Or comme elle nous le rappelle, à l’origine le texte avait été conçu avec l’idée d’une marge de protection future puisque l’état d’esprit des concepteurs de la loi de 1913[2] n’était pas d’élaborer une loi de protection complète mais d’assurer sa grande innovation : le classement d’office. Ainsi, afin qu’elle ne soit pas discutée, le petit patrimoine et le rôle des collectivités territoriales étaient restées en marge par crainte d’alourdir le texte.

La loi de 1913, en persistant à écarter les collectivités territoriales, est devenue trop centralisatrice à la différence du droit de l’urbanisme qui lui fait concurrence. De plus, alors que nouvelles approches patrimoniales sont apparues comme avec la Convention de Faro amenant une réflexion plus « citoyenne » sur sa mise en valeur des monuments ou encore avec le concept du développement durable, la loi de 1913, dans sa mission unique de transmettre et de conserver, devient limitée.

Le colloque a ainsi discuté de l’élargissement du concept de monument historique à monument culturel et de l’évolution d’une protection ciblée à une protection élargie, puis de la problématique de son financement en soulignant la nouvelle culture de mécénat du patrimoine culturel en France. La question centrale de Jacqueline Morand Duvillier, professeur émérite de Paris 1 : « l’arche du patrimoine est-elle trop chargée ? » a ainsi été ouverte.

Élargissement du concept de Monument Historique à Monument Culturel

Faisant suite à des travaux menés par l’Unesco et le Conseil de l’Europe, Jérôme Formageau, doyen de la Faculté de droit de Jean Monnet, constate d’ailleurs que cette notion élargie du patrimoine est partagée dans le monde entier. En effet, il en ressort que la notion de « monument historique » n’est pas transposable dans les autres ordres juridiques. La notion de patrimoine recouvre souvent une dimension immatérielle qu’elle n’a pas en France, comme en Algérie, en Chine ou encore au Pérou dans l’esprit de la Convention internationale de l’Unesco.

Arlette Auduc, chef de service du patrimoine  et de l’inventaire de la Région Ile-de-France, a démontré comment l’inventaire a contribué à faire évoluer la connaissance du patrimoine avec la prise en compte de nouveaux patrimoines comme le patrimoine industriel.

Même si la notion de patrimoine semble s’étendre toujours plus, l’exemple de la Belgique illustre une hiérarchisation avec la notion de « patrimoine exceptionnel » afin de mieux concentrer les dépenses en période de difficultés budgétaires et afin d’éviter qu’un monument classé soit laissé à l’abandon. De plus, pour savoir s’il y aura un financement étatique, le critère est celui de l’utilisation du bâtiment.

Problématique du financement de la notion élargie du patrimoine

L’élargissement de la protection de notre « si cher patrimoine » [3] pose l’âpre question de son financement.

Ainsi s’il y a eu un tassement des crédits publics comme partout en Europe, l’aide de l’État prenant plusieurs formes (ligne budgétaire affectée, taxes affectées [4], déductions fiscales (180M€ avec la loi Malraux), soutien de la Fondation du patrimoine (50M€)),  il est difficile de se rendre compte du véritable effort. Le financement de l’État garde cependant une fonction centrale même s’il a subi une amputation radicale de ses crédits depuis 1999 où le dispositif patrimoine était en excès et soumet chaque dépense à justification pour obtenir un crédit, ce qui n’était pas le cas avant.

Concernant la fiscalité liée aux monuments historiques, elle résiste à la crise mais s’inscrit dans un certain immobilisme selon Arnaud Jarmin, avocat expert au cabinet Fidal. Nous bénéficions donc d’une fiscalité incitative parfaite pour la conservation ou l’entretien mais parfois problématique lorsqu’il s’agit de faire vivre un monument.L’exonération est souvent forte mais elle impose souvent trop de contraintes importantes aux propriétaires comme l’engagement de conservation de l’immeuble pendant 15 ans. De plus, la question de la copropriété pose problème on ne peut pas être copropriétaire sans autorisation administrative.

Nouvelle culture du mécénat

Le Colloque a aussi été l’occasion de souligner l’essor du mécénat culturel vers une nouvelle culture qui est celle du « mécénat de projets » mettant fin à  la culture de subvention selon Bertrand de Feydeau, président de la Fondation des Bernardins. Cedric Mignon, directeur du développement des Caisses d’Epargne, qui a financé notamment la restauration de la salle Richelieu de la Comédie Française, a souligné la fonction rassurante du « projet » pour une entreprise mécène ainsi que la logique de mécénat populaire en terme d’image.

Cette notion de mécénat de projet existe car aujourd’hui ce sont les acteurs eux-mêmes qui sont financeurs, les sociétés sont de plus en plus participatives. Cela s’illustre tout d’abord avec les actions importantes de la Fondation du Patrimoine qui réalise des souscriptions populaires très importantes ou encore le projet récent des VMF « Fous de patrimoine », qui sera un appel à projet sur un édifice en péril sélectionné et financé par le mécénat populaire sur internet.

Pour Philippe Bélaval, président du Centre des Monuments nationaux,le « crowdfunding », ce mécénat populaire, s’il reste encore un financement accessoire pour l’instant, est surtout une formidable opération de communication et de sensibilisation du patrimoine. Une grande opération de financement participatif a été réalisée entre la CMN et My Major Company, pour la restauration de plusieurs édifices dont les parties hautes du Panthéon. Ce financement offre une visibilité, un attrait, une publicité au monument qui se traduit pour l’exemple du Panthéon par une hausse de fréquentation depuis la campagne et la une du New-York Times[5].

La question du crowdfunding a d’ailleurs fait  l’objet d’une publication en ligne d’un guide dédié au financement participatif. Par l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) et l’Autorité de Contrôle Prudentiel (ACP). [6]

Cependant la Fondation des Monuments historiques a rappelé que même sans pouvoir faire appel à la générosité du public, cela ne l’empêche pas de transmettre et financer des projets. Sous l’égide de la Fondation de France, il y a eu 6 500 000€ en faveur des Monuments Historiques depuis 2009. 60 000€ pour cinq projets de restauration. Elle organise un partenariat avec le Tour de France pour sensibiliser  le grand public au patrimoine. 200 monuments à présenter.

Et Monsieur Keruzore, chargé de missions institutionnelles aux Ateliers d’Art de France, a rappelé que les monuments historiques sont des déclencheurs du développement économique des territoires et que la valorisation du patrimoine bâti constitue une attractivité économique indispensable pour les territoires ».

Ce colloque a une fois encore été riche de points de vue,  différents  tant par les multiples nationalités des intervenants que par  la prise de parole de tous les acteurs du patrimoine.


[1] Le sondage a été réalisé sur un échantillon représentatif de 1007 personnes composé du grand public comme d’adhérents d’associations du 9 au 22 mars 2013

[2] Jérôme Fromageau a rappelé, quand à lui, que les instigateurs de la loi de 1913 ont porté une attention toute particulière aux États étrangers et notamment à la loi italienne de 1902 qui a été une source d’inspiration.

[3]Article du Monde CULTURE ET IDEES 13 septembre 2012 évoqué par Maître de la Bretesche, Si Cher patrimoine

[4] Par exemple la taxe archéologie