Transmettre les patrimoines aux nouvelles générations pour qu’elles sachent d’où elles viennent afin de choisir où elles vont.
L’État « protecteur », la Société « civile » et le Patrimoine
Nulle part en Europe, l’intervention de l’État dans la protection du patrimoine, ne fut aussi précoce et demeure aussi marquée qu’en France. Depuis le début du XIXe siècle l’État français est le garant du devoir de mémoire et le pivot de la protection du patrimoine. Il s’est progressivement doté des outils législatifs et réglementaires appropriés, d’une administration dédiée, d’un corps d’experts et de lignes de crédit pour assumer cette responsabilité et exercer son autorité. Acte fondateur de la politique de protection, la loi du 31 décembre 1913, contraignante par l’importance des atteintes qu’elle porte à la propriété privée, a défini durablement les critères de sélection et de hiérarchisation des « biens communs » devant être sauvegardés. Les débats sur la loi de juillet 2016, pour la Liberté de création, l’architecture et le patrimoine ont réuni les acteurs politiques, administratifs et associatifs pour réaffirmer conjointement l’importance du rôle et de la garantie de l’État dans la protection du patrimoine.
Les onze institutions dédiées à la sauvegarde du patrimoine français, signataires de la « Lettre ouverte aux Français et à leurs élus sur le patrimoine » confirment cette position : Une gouvernance améliorée du patrimoine restera fondée sur une réaffirmation du rôle de l’État dans sa mission régalienne de protection.
Parallèlement à ce rôle clé tenu par les services de l’État central comme régional, la société civile française s’est toujours investie dans l’action en faveur du patrimoine. Les sociétés savantes et les clubs touristiques avaient ouvert la voie au XIX e siècle. Plus près de nous, les « trente glorieuses » ont été marquées par un renouveau des associations et leur mobilisation pour la défense du patrimoine qui n’est plus, dès cette époque, le monopole de l’État et de ses techniciens. Par ailleurs, les conventions internationales d’Aarhus ( 1 ) et de Faro (2) , mises en place au tournant du XXIe siècle incitent les États à faire participer le public aux débats relatifs à son cadre de vie. La charte de l’environnement adoptée en France en 2005, donne à chaque citoyen le droit « de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ». Les CESE (Conseil économique, social et environnemental) régionaux ont pour objet de donner un cadre au débat citoyen mais les représentants du monde du patrimoine n’y sont que peu représentés et la procédure de concertation publique est souvent appliquée en aval des choix et des décisions.
Les institutions signataires de la « lettre ouverte aux Français et à leurs élus sur le patrimoine » proposent de réorganiser la participation du public en matière environnementale pour mieux prendre en compte les enjeux liés au patrimoine et mieux associer les acteurs organisés de la société civile.
Si la protection des 44 060 éléments de patrimoine inscrits et classés au titre des monuments historiques est globalement assurée, il en va différemment du patrimoine non protégé par l’Etat : L’infinité des lavoirs et des oratoires , des fours et des moulins , des ponts et des maisons portant l’histoire et la mémoire des générations passées est à la charge de tous et parfois de personne. Plus passeur que possesseur et plus dépositaire que propriétaire, la génération active doit exercer son devoir de mémoire et transmettre les éléments de patrimoines aux générations à venir. Il n’existe pas en France de politique dédiée à ce patrimoine non protégé tant aimé des Français et de leurs visiteurs étrangers. Une organisation améliorée des relations entre l’Etat, les collectivités territoriales et les associations pourrait y conduire. La Fondation du patrimoine constitue aujourd’hui l’institution préfiguratrice de la structure de gestion attendue pour traiter ce patrimoine. Depuis 1996, date de sa création par le législateur, la Fondation du patrimoine a accompagné 27 000 projets de sauvegarde ou de mise en valeur d’éléments de patrimoine à travers tout le territoire métropolitain et ultramarin. Ses presque 600 bénévoles aidés par 70 salariés répartis sur 22 délégations régionales ont pour cela, conjugué les moyens publics et les ressources privées apportées par le mécénat populaire et le mécénat d’entreprises. Des avancées reconnues ont été réalisées par la Fondation du patrimoine dans le développement de méthodes participatives innovantes. La collecte du mécénat populaire mis en place par la Fondation du patrimoine voici plus de 15 ans est en hausse continue. Le record a été battu en 2016 avec près de 16 millions d’euros collectés auprès de 46 000 donateurs pour presque 1 000 nouvelles souscriptions lancées. Le résultat est au rendez-vous et la preuve est faite par l’expérimentation que ce dispositif atypique créé par la loi, appuyé sur le mécénat et le bénévolat, participe à la réalisation de la mission nationale de sauvegarde du patrimoine.
La Fondation du patrimoine est la seule institution qui, à la fois issue de la société civile et créée par la loi, peut réunir tous les acteurs afin de sauvegarder des objets patrimoniaux porteurs de valeur historique et de leur retrouver une place dans la vie de la cité. Les signataires de la « lettre ouverte aux Français et à leurs élus sur le patrimoine » recommandent de développer la Fondation du patrimoine et d’en faire l’outil fédérateur de la sauvegarde du patrimoine non protégé.
Au service de cette légitimité nationale reposant sur la mission qui lui est confiée par le législateur, la Fondation du patrimoine doit disposer de manière pérenne, de moyens opérationnels accrus, de moyens de coordination d’initiatives diverses et d’une ligne budgétaire propre lui assurant son fonctionnement. La recherche de nouvelles ressources a été recommandée par les signataires de la « lettre ouverte aux Français et à leurs élus sur le patrimoine ». L’affectation d’une portion des recettes des jeux à la sauvegarde des patrimoines est pratiquée de longue date et avec succès, dans les pays anglo-saxons. Par ailleurs, des propositions peuvent être faites pour une répartition des recettes de la taxe de séjour, ciblée vers le patrimoine. Enfin, avant d’être divisé par 2 en 2016, le soutien de l’Etat à travers l’attribution à la Fondation du patrimoine, d’une partie du produit des successions vacantes, lui permettait depuis quelque 10 ans, d’abonder les souscriptions. Créant ainsi un cercle vertueux souvent bouclé par des mécènes de proximité, ce dispositif de financement sans égal qui conjugue les moyens publics et privés au bénéfice du patrimoine vernaculaire non protégé, ne peut s’inscrire dans le temps long que si les moyens qui lui étaient donnés sont rétablis et durablement stabilisés.
Guy Sallavuard,
Fondation du patrimoine
(1) Pilier de la démocratie environnementale, la convention d’Aarhus stipule que tout citoyen a le droit d’être informé, de s’impliquer et d’exercer des recours en matière d’environnement. Elle a été adoptée le 25 juin 1998 par la 4 eme conférence « Un environnement pour l’Europe » qui se tenait dans la ville danoise d’Aarhus. Elle a été ratifiée et signée par la France le 8 juillet 2002.
(2) La convention de Faro traite de la valeur du patrimoine culturel pour la société. Elle a été signée le 27 octobre 2005 par le Conseil de l’Europe réuni dans cette ville du Portugal. Elle n’a jamais été ratifiée ni signée par la France.
Plus d’informations
- sur la Fondation du Patrimoine : www.fondation-patrimoine.org
- sur la « Lettre Ouverte aux Français et à leurs Élus sur le Patrimoine »