Sur les chemins du XXIème siècle
Les Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle…
Patrimoine-Environnement a appris, grâce à ses adhérents bourguignons, que les premiers touristes connus furent les pèlerins. Selon Marie-Françoise Baslez, professeur à la Sorbonne, c’est au IVème siècle avant Jésus-Christ que le tourisme religieux est né. Le philosophe Platon y a largement contribué en inventant le voyage « théorétique », dont l’objet était l’apprentissage de la contemplation. Mais, plus pragmatiquement, ces pèlerinages avaient deux autres objectifs : ils étaient dits « guérisseurs », parce que les populations y cherchaient les divinités capables de les soigner ou de les guérir, ou « oraculaires », c’est-à-dire que l’on cherchait dans ces lieux à écouter des prédictions sur son avenir, par la bouche des oracles.
Après la longue période de l’antiquité gréco-romaine et les débuts du christianisme, cette tradition des pèlerinages repris, vers les hauts lieux de la chrétienté comme Rome et Jérusalem mais aussi dans de petites bourgades, où les saints guérisseurs de Bretagne, par exemple, avaient remplacé les forces issues de la mythologie. L’Histoire ou la légende, comme chacun voudra, de Jacques le Majeur, fils de Zebédée, disciple du Christ du premier cercle, décapité sur les ordres d’Hérode Agrippa est très ancienne : ses propres disciples auraient transporté en barque son cercueil jusqu’au port de Padrón, en Galicie, et l’auraient enterré non loin de là. C’est le 25 juillet 813 qu’une étoile est apparue à l’ermite Pélage, lui signalant l’emplacement de la tombe. « Campus Stella », le champ de l’étoile, devint « Compostelle ».
À partir de cette date et jusqu’à nos jours, les pèlerins ont commencé à marcher sur les chemins de France et d’Europe vers le tombeau de l’apôtre. Ils portaient tous sur leurs vêtements la coquille qui les identifiaient, cette coquille qui fut reprises maintes et maintes fois dans les églises, chapelles, hôtels-dieu et monuments qu’ils rencontraient sur leur passage. Et puis avec le temps, au XXème siècle, les chrétiens ne furent plus les seuls à marcher vers Compostelle : on y trouva des hommes et des femmes qui avaient besoin de retrouver leur équilibre, après un licenciement, un divorce ou une dépression, et aussi des hommes et des femmes de toutes origines et de toutes classes sociales qui prirent l’habitude de faire le trajet par étapes, parfois séparées d’une année ou plus. Comme l’a écrit Paulo Coelho, dans son ouvrage Le Pèlerin de Compostelle, « l’extraordinaire se trouve sur le chemin des gens ordinaires ».
Cet extraordinaire phénomène, si peu conforme aux standards de vie contemporains, sauf à lui donner la validation de la vague hippie très loin de représenter la masse des voyageurs, a nécessairement interpellé les grandes institutions culturelles européennes. Ainsi, en 1987, le Conseil de l’Europe a déclaré le chemin de Saint-Jacques « premier chemin culturel européen ». Et surtout le 2 décembre 1998, l’Unesco qui commençait à inscrire des biens dits « en série » a inscrit le bien culturel « Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France » sur la Liste du patrimoine mondial.
Cette inscription est matérialisée par une sélection de 71 monuments et de 7 sections de sentiers, répartis dans 10 régions françaises. Elle illustre le pèlerinage médiéval, essentiellement à travers la dévotion à Saint Jacques et à d’autres saints, l’hospitalité et les solutions de franchissement d’obstacles. Inscrit sous la forme d’une collection, ce bien, considéré comme un bien unique, implique une gestion solidaire portée par une organisation en réseau, autour de valeurs communes et d’un projet partagé.
Cette organisation en réseau, c’est aujourd’hui l’ACIR (Agence de Coopération Interrégionale et Réseau des Chemins de Saint-Jacques de Compostelle). On trouve dans cet organisme des collectivités décentralisées : régions, départements et communes, des associations dites jacquaires et des personnes qualifiées.
L’ACIR est membre de Patrimoine-Environnement et nous suivons ses activités régulièrement. Ainsi, le 9 novembre 2015, l’ACIR a conclu avec l’État une convention pour faire avancer les questions complexes d’entretien du Patrimoine inscrit à l’Unesco, des paysages à préserver tout le long des routes des hébergements… La région Occitanie est particulièrement engagée dans ces actions, de même que la Nouvelle Aquitaine.
Il se trouve que l’année 2018 sera le 20ème anniversaire de l’inscription des Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco. À cette occasion, l’ACIR entend développer une série d’événements et en particulier une grande manifestation à l’Hôtel-Dieu de Toulouse.
Patrimoine-Environnement célèbre les 20 ans de l’inscription des Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France au patrimoine mondial de l’Unesco :
Patrimoine-Environnement s’investit dans cet anniversaire en partenariat avec le groupe de presse Bayard, dont l’une des revues s’appelle Le Pèlerin. Notre idée est la suivante : le patrimoine et les paysages peuvent être des valeurs qui rapprochent, au minimum du bien-être et de la sérénité, ou plus si affinité des notions spirituelles, qu’elles soient religieuses ou non et dont nos contemporains ont un immense besoin. On appelle cela aujourd’hui comme au Moyen Âge du temps des épopées arthuriennes « la quête du sens ».
La situation psychosociologique de nos contemporains européens est marquée par un mal-être assez répandu, dont le minimum est la dépression et le maximum ce qu’il est convenu d’appeler « le burn-out », un véritable traumatisme qui coupe les routes du travail et de l’effort pour celui qui en est atteint. Les médecins de la Haute Autorité de santé ont écrit des choses importantes sur la question. Dans les sphères spécialisées dans la médecine du sport, la pratique intensive de l’effort tel que la marche est décrite comme secrétant une endorphine appelée sérotonine, un neurotransmetteur qui libère au niveau du cerveau et de la moelle épinière des neurones bénéfiques que l’on appelle dans le langage courant « la molécule du bonheur ». Il y a une quarantaine d’années que l’on emploie cette molécule dans les antidépresseurs. Cette première constatation touche et tend à résoudre la situation minimum : celle de la classique dépression.
Mais on peut aller plus loin et, grâce à la route, à la convivialité qui résulte des rencontres, grâce au silence que l’on peut y trouver pour se retrouver face à soi-même, le pèlerin touriste peut avancer dans la quête du sens dont il a tant besoin. Ainsi, comme au temps de Platon, les routes de Compostelle réunissent les guérisseurs, les oracles et les théorétiques.
Nous allons, avec nos partenaires, nous efforcer en 2018 de travailler à un colloque sur cette question essentielle. Dans le domaine du Patrimoine et du Paysage aussi : « tout ce qui monte converge ».
Alain de La Bretesche, Président de Patrimoine-Environnement.