Sonnez les matines… pour l’an nouveau

clocher BoisttesEdito du 08 janvier 2014

Boissettes, village de 474 habitants à proximité de Melun. Une superficie de 154 hectares, pas de quoi faire vivre des agriculteurs bien nombreux, et une seule entreprise méritant d’être mentionnée sur le site officiel : une société de traitement des eaux, filiale de Veolia, qui veille sur la station de retraitement des eaux de Melun.

Plus de commerces, une église plutôt en bon état où l’on dit la messe deux fois par trimestre. Mais une sonnerie de cloche électrifiée : juste un coup toutes les demi-heures… y compris la nuit.

Voilà bien le drame : des citadins s’installent juste en face de l’église et demandent au maire de faire cesser ce scandale…  une cloche qui sonne ! Le maire refuse et les nouveaux venus saisissent le Tribunal administratif qui accueille la requête. La cloche ne sonnera plus la nuit. La population se mobilise : deux cents personnes signent une pétition pour maintenir les sonneries, autant dire – si l’on enlève les très vieilles personnes et les enfants mineurs – quasi tout le monde ! Le maire fait appel et la Cour administrative de Versailles décide que la cloche ne doit plus sonner sauf pour le tocsin.

La décision de la Cour de Versailles n’est pas étonnante : pour maintenir les sonneries il fallait démontrer, selon une jurisprudence constance, que l’usage des sonneries était constant avant 1905, date de la loi de séparation des Églises et de l’État: cela n’a apparemment pas été possible pour le Maire d’apporter cette preuve.

Alors, pourquoi relater ce fait divers au début de cette année nouvelle dans une lettre consacrée au Patrimoine et au Paysage ? Parce que ce type de débat entre les citadins qui ne viennent à la campagne que parce que la vie n’est plus guère possible dans les grandes villes et les habitants de ces campagnes est sociologiquement de plus en plus classique. Les maires le disent : ces habitants, syndicalistes du logement, insistent beaucoup auprès des élus sur «  leurs droits »et fort peu sur leurs devoirs communautaires, comme la participation à la vie locale associative par exemple. Ils veulent le confort de la ville à la campagne et se moquent du paysage dans lequel ils vivent. Ne leur parlez pas de réduire l’urbanisation et « l’imperméabilisation des sols ». Il leur faut leur lotissement avec terrain pas trop cher et la grande surface pas trop loin etc. Peu de chance que ces citoyens répondent à l’appel du tocsin…

La culture du collège unique ne leur a sans doute pas insufflé les vers  d’un certain Charles Baudelaire :

« Bienheureuse la cloche au gosier vigoureux
Qui, malgré sa vieillesse, alerte et bien portante,
Jette fidèlement son cri religieux,
Ainsi qu’un vieux soldat qui veille sous la tente ! »

Ne jetons pas trop la pierre à ces déracinés, mi- ruraux comme leurs aïeux, mi -urbains comme leurs pères. Ils ne savent plus guère s’ils furent poulbots ou participants à la guerre des boutons, si leur malheur est la faute à Voltaire ou leur conception de la nature la faute à Rousseau !

Il appartient donc à tous les acteurs de cette culture qui, parait-il, nous identifie  et particulièrement à nous, puisque nous avons, ensemble, choisit cet engagement, de leur transmettre cet héritage qui leur manquerait peut être un jour :

« Et je voudrais que sous notre ciel nuancé une cloche soudain s’ébranlât. Alors je me rappellerais mon enfance et mes morts ; je me résignerais aux limites que mes expériences m’ont de toutes parts fait toucher, et je méditerais, avec une délectation triste, le désaccord que sentent les modernes entre la vie et la pensée. »

Cette citation mélancolique n’est pas de votre serviteur, mais de Maurice Barres. Et puisqu’une année nouvelle commence, avant de nous délecter tristement, agissons avant qu’il ne soit trop tard pour transmettre tout ce que nous pouvons afin qu’il n’y ait plus… ou presque plus de désaccord entre la vie et la pensée. Et si les cloches de nos villages peuvent nous y aider : luttons pour qu’elles continuent à sonner.

Alain de la Bretesche

Président-délégué de la Fédération Patrimoine-Environnement
Président de la COFAC (Coordination des Fédérations des Associations de Culture et de Communication)
Administrateur de la Conférence CPCA (Conférence Permanente des Coordinations Associatives)
Administrateur d’Europa Nostra