Renonciation de Benoît XVI : « fait religieux et patrimoine »

renonciation-benoit-xviEst-il correct pour l’éditorialiste d’une lettre destinée aux membres d’une fédération culturelle sensée respecter la neutralité religieuse et politique, de faire ses adieux à un pape ?

Certes, ce pape est un homme de culture : il est connu qu’il trouve le temps de jouer du piano tous les jours, que son goût pour la musique est tel que l’usage diplomatique s’est établi de lui offrir pour ses anniversaires un concert dirigé par un chef réputé, qu’il a accueilli dans la Chapelle Sixtine des artistes du monde entier, qu’il attachait à la « disputatio » universitaire une véritable joie.

Est-ce suffisant pour franchir le Rubicon de la laïcité ?

Avant tout, ce que l’Histoire nommera probablement : « la Renonciation de Benoît XVI » restera un fait culturel majeur dans le déroulement du vingt et unième siècle. Et la mise en scène du départ du pape « émérite » quittant le Vatican par le haut dans un hélicoptère blanc devenant progressivement un point totalement solitaire survolant d’abord la Ville éternelle pour disparaître dans le mystère, n’a pas fini de marquer les esprits de ceux qui croient au ciel et de ceux qui n’y croient pas. Un célèbre jésuite n’a-t-il pas écrit que « tout ce qui monte converge » ?

Mais, si l’on revient un peu en arrière, il y a entre le pape Benoît XVI et les milieux culturels français une histoire vraiment particulière. Le 12 septembre 2008, au collège des Bernardins fraîchement restauré, devant un parterre d’intellectuels français appartenant à tous les bords de la pensée, le « professeur Ratzinger » souriant et tranquille, dans le meilleur français qui soit, a expliqué comment était née la culture européenne, à l’époque des grandes invasions, dans les collèges bénédictins.

Il a décrit ces jeunes étudiants ayant perdu tous leurs repères dans cette période de guerre perpétuelle, et reconstruisant une culture nouvelle fondée, non sur une religion, mais sur la recherche d’un sens à donner à leur existence : le fameux « quaerere deum » (chercher Dieu) de Saint Benoît.

Il a expliqué encore comment l’on passe de la célèbre phrase de l’évangile de Jean « Au commencement était le verbe » à la création de la grammaire sans laquelle il n’y a pas de civilisation.

Il a raconté les débuts du chant Grégorien et les punitions proposées par Bernard de Clairvaux pour les moines qui chantaient faux, parce que la fausse note est une atteinte à l’harmonie qui fait tomber dans la « dissimilitude » et est remontée ainsi vers les sources de la Grande musique occidentale.

Il a démontré comment l’Église a réhabilité le travail manuel méprisé par le Bas Empire qui ne le confiait qu’aux esclaves, en le hissant au noble niveau de la prière, l’ « Ora et labora » dans la règle bénédictine.

Il a pris pour point de départ l’exercice complet, moral et physique, qu’accomplit le Rabin se balançant en lisant la Thora, pour expliquer que décidément la religion que professent les chrétiens n’est pas une religion du livre car il n’existe pas d’interprétation mot à mot des écritures pouvant conduire à l’intégrisme, mais au contraire une remise en question collective permanente à la lumière d’une longue tradition.

Et pour finir, il a invité tous les assistants, croyants ou non, à rencontrer le « Dieu Inconnu » dont l’autel a été découvert par l’Apôtre Paul dans une ville grecque.

Avoir été témoin sur le visage de tous les présents, juifs, musulmans, croyants ou agnostiques, intellectuels de toute provenance de l’effet des paroles du pape restera pour moi un souvenir considérable .

Sans doute n’y a-t-il pas de chemin de culture, quelle que soit sa destination, qui ne parte du passé et qui ne chemine dans la recherche d’une harmonie et pourquoi pas de la beauté. Mais cette beauté n’est pas éthérée : elle s’incarne dans le travail du scripteur, dans les efforts du musicien, dans la noblesse du labeur de l’ouvrier dans la manière de lire ou de chanter. Cette beauté est, selon Benoît XVI, équivalente à la vérité et ainsi permet d’être vecteur pour les sentiments les plus élevés de notre humanité.

Que de leçons pour les défenseurs du Patrimoine sous toutes ses formes.

Vous savez que ce pape intellectuel parmi les intellectuels a voulu, sans grand succès jusqu’à présent, rappeler à ses confrères évêques que le Temple de Jérusalem comprenait des parvis où les croyants discutaient et débattaient avec ceux que l’on appelait alors les « gentils » et a proposé que ces « parvis des gentils » retrouvent une réalité culturelle dans la vieille Europe.

Puissions nous être capable de rappeler à l’Église de France qui, par les hasards de l’Histoire de la République, est détentrice d’un patrimoine composé d’Églises, de Chapelles dont elle n’a plus besoin, que ces biens ne sont pas seulement des lieux de culte pour les fidèles de l’Église, mais aussi des signes, des symboles et des éléments d’identité pour ceux qui sont redevenus des « gentils »….

Cela serait là belle manière de rendre hommage à ce pape dont le court passage sur le siège de Pierre, aura marqué le début de ce siècle, d’inviter « gentils » et croyants à conserver ensemble ces édifices qui font signe, au lieu d’envoyer les pelleteuses faire le travail autrefois accompli par les hordes venues du nord à l’époque où l’ont construisit le collège des Bernardins.

Alain de la Bretesche
Président délégué de Patrimoine Environnement
Administrateur d’’Europa Nostra