Prolongement de la ligne 1 du métro parisien dans le Bois de Vincennes

Dans le cadre de l’enquête publique concernant l’extension de la ligne 1 du métro parisien passant par le Bois de Vincennes, poumon vert de l’Est parisien, Patrimoine-Environnement, alertée par le collectif Touche pas à mon bois, a souhaité donner son avis afin de préserver ce site classé.

Le projet a d’ailleurs reçu un avis négatif de l’autorité environnementale* (voir l’avis ici). Rappelons que pour chaque projet soumis à évaluation environnementale, une autorité environnementale doit donner son avis et le mettre à disposition du maître d’ouvrage, de l’autorité décisionnaire et du public. Cet avis porte sur la qualité de l’étude d’impact présentée par le maître d’ouvrage et sur la prise en compte de l’environnement par le projet. 

Voici notre avis :
Au nom de Patrimoine-Environnement, fédération nationale reconnue d’utilité publique et agréée pour la protection de l’environnement, nous nous opposons à l’atteinte portée au Bois de Vincennes par le projet de tracé de l’extension de la ligne 1 tel qu’il est envisagé actuellement.
Nous rappelons que le Bois de Vincennes, doublement protégé par la loi, est un site classé qui bénéficie du plus haut niveau de protection prévu par la législation française. L’intérêt général supérieur qui s’attache à la protection d’un site classé est tel qu’aucune destruction, qu’aucune modification de sa nature et même de son aspect ne peut intervenir sans l’accord formel du ministre chargé des sites. L’autorisation spéciale ainsi requise ne peut conduire à porter une atteinte au site telle qu’elle pourrait remettre en question son classement.

De plus le bois a été reconnu comme zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF de type II, en raison de son caractère remarquable) c’est-à-dire intégrant des ensembles naturels fonctionnels et paysagers possédant une cohésion élevée et plus riche que les milieux alentour.

À l’heure du réchauffement climatique, le rôle de poumon vert joué par le Bois de Vincennes est encore plus essentiel. Le Bois de Vincennes a été occupé au fil des années (bâtiments militaires, équipements sportifs, pavillons de l’exposition coloniale de 1907…). Il faut donc non seulement apprécier chaque projet en tant que tel, mais aussi apprécier l’impact cumulé de tous les aménagements. L’Architecte des Bâtiments de France a d’ailleurs attiré l’attention des membres de la Commission départementale de la Nature, des Paysages et des Sites, réunie le 8 décembre 2021 sur ce cumul des aménagements existants ou à venir et qui pourrait, à terme, porter atteinte à l’équilibre global du bois. Le domaine proprement forestier est donc déjà réduit par rapport à la surface de ce bois (10 km²).

De plus, il ne s’agit pas ici simplement d’un déboisement partiel du Bois de Vincennes, mais d’un défrichement sur une surface pouvant aller jusqu’à 6 ha (cf demande d’autorisation de défrichement au Service régional de la Forêt et du bois, de la biomasse et des territoires) or l’article L.341-1 du Code forestier définit le défrichement comme la destruction de l’état boisé d’un terrain et la suppression de sa destination forestière.

On peut alors légitimement s’interroger sur les mesures « compensatoires » de travaux de boisement ou de reboisement, d’amélioration sylvicole ou de versement à un fonds stratégique de la forêt et du bois (cf autorisation de défrichement). Plusieurs membres de la Commission départementale de la nature des paysages et des sites ont fait part d’importantes réserves quant à l’imprécision des mesures compensatoires prévues et de l’identification des arbres remarquables.

Comment mesurer l’impact d’un tel aménagement alors qu’aucun inventaire précis de tous les spécimens d’arbres ni de diagnostic phytosanitaire n’existe actuellement ?
Quant à l’atteinte aux espèces protégées, l’autorité environnementale (avis du 5 mai 2021) a souligné sa sous-estimation par l’étude d’impact. Selon le dossier, l’enjeu est assez fort pour les oiseaux et modéré pour les chauves-souris.

Nous estimons qu’un tel projet ne peut donc être autorisé sans une contre-expertise inventoriant précisément le patrimoine naturel existant.
L’intérêt public qui s’attache à étendre la ligne 1 du métro, certes légitime, n’est pas tel qu’il justifie de porter une atteinte aussi disproportionnée et durable au massif forestier de Vincennes tel qu’il est protégé. 

Il y a déjà des dessertes des territoires concernés en transports en commun (ligne du RER A, tramway T1, et diverses lignes de bus, notamment ligne 118). Il s’agit d’une amélioration de la situation existante, non d’une impérieuse nécessité.
Or comment justifier la dérogation à l’article L. 411-1 du Code de l’environnement qui énonce que « lorsqu’un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l’écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel, justifient la conservation de sites d’intérêt géologique, d’habitats naturels, d’espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits

  • 1° La destruction ou l’enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l’enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d’animaux de ces espèces ou, qu’ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat.
  • 2° La destruction, la coupe, la mutilation, l’arrachage, la cueillette ou l’enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ».

En effet, même si le 4° du I de l’article L. 411-2 du même code énonce que l’autorité administrative peut délivrer des dérogations à ces interdictions, cela n’est possible que si trois conditions distinctes et cumulatives sont réunies :

• absence de solution alternative satisfaisante
• ne pas nuire « au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle « 
• l’existence d’un des cinq motifs parmi lesquels : « Dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ».

En l’espèce ce projet d’extension de la ligne 1 dans le Bois de Vincennes qui affecte la conservation d’espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne remplit pas ces trois conditions cumulatives puisqu’il existe d’autres alternatives satisfaisantes à ce tracé, économe des ressources de la planète et des deniers publics, puisqu’un tunnel ferroviaire existant pourrait être utilisé pour la traversée du Bois de Vincennes (le tunnel en prolongement de l’arrière gare de château de Vincennes qui mène au centre de maintenance de Fontenay-sous-Bois), et qui sert actuellement pour une desserte technique. C’est bien la preuve qu’il est utilisable.
Ne conduisant à aucun défrichement, à aucun déblai, à aucun déchet, à aucune émission de CO2 à aucune artificialisation supplémentaire, cette solution serait donc compatible avec l’intérêt supérieur qui s’attache à la protection du Bois de Vincennes et spécifiquement de son massif forestier. À défaut de renoncer au projet lui-même, il faut donc retenir cette solution.

Rappelons que cette balance des intérêts en jeu, notamment concernant l’atteinte aux espèces protégées, a fait l’objet d’une jurisprudence du Conseil d’État en 2018 – Déviation routière de Beynac (CE, 28/12/2018)


* (L’autorité environnementale est représentée par les missions régionales d’autorité environnementale (MRAe). Ces formations du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), composées de membres permanents du CGEDD et de membres associés, se sont substituées aux préfets de bassin, de région, de Corse ou de département comme autorité environnante pour les plans et programmes locaux. Le décret  de 2016 instituant les MRAe comme autorité environnementale vise à renforcer l’indépendance des décisions et avis rendus par les autorités environnementales locales sur les plans et programmes.)