Patrimoine-Environnement et Notre-Dame (suite)
Notre lettre numérique dont vous êtes les fidèles lecteurs ne peut renier qu’elle fait partie des « réseaux sociaux », ce pourquoi, très peu de jours après la catastrophe de Notre-Dame de Paris nous avons voulu démontrer que nous n’étions pas extérieurs à la sidération et à l’émotion du plus grand nombre de nos compatriotes, mais sans participer à la précipitation du moment.
Si nous aurions souhaité un peu plus de temps pour la réflexion, il nous faut désormais nous exprimer, parce que le président et le gouvernement ont mis sur la table un projet de loi non sur tout, mais sur un certain nombre des données du problème soulevé au plus haut de l’État.
Éliminons tout d’abord les interventions de ceux qui ont été appelés les « starchitectes » et dont l’objectif est manifestement narcissique et publicitaire.
Beaucoup d’autres personnes ont aussi fait part de leur point de vue individuellement : il m’est apparu qu’au sein de Patrimoine Environnement il était nécessaire de donner la parole aux vingt-huit membres de notre Conseil d’administration. Depuis une petite semaine un grand nombre d’entre eux, avec leurs compétences ou leur ressenti se sont exprimés par écrit.
J’ai bien sûr comme vous tous, pris connaissance des autres prises de position en particulier de celle signée par plus de 1000 personnalités françaises et internationales publiée dans le Figaro du 29 avril.
De tous ces débats, les nôtres comme ceux des autres, il est possible de tirer cinq conclusions :
- La plus claire, exprimée par notre secrétaire général Dominique Masson, soutenue par un grand nombre de nos administrateurs, a trait à la problématique architecturale qui doit être développée à partir du lendemain de l’incendie jusqu’à la production d’une analyse et d’un plan de restauration.
Comme vous le verrez dans sa communication que nous publions plus bas il plaide pour l’utilisation des compétences du ministère de la Culture, au service de la mise en application des principes forgés au fil du temps par l’administration des Monuments Historiques sur un plan national et international. Les architectes membres de notre conseil, issus du ministère de la Culture, ou extérieurs a celui-ci font chorus. En particulier pour la reconstruction de la flèche de Viollet-Le-Duc.
- Dominique Masson et ceux qui soutiennent sa position restent cependant ouverts à l’utilisation dans un deuxième temps de matériaux nouveaux pour permettre la reconstruction de la toiture en conservant son aspect extérieur, d’autres au sein du Conseil ont aussi fait connaître leur ouverture à ce sujet, la palette des opinions est assez large : maintien ou non d’une « forêt »de chênes, utilisation d’autres matériaux, etc.
- Au début des débats médiatiques, certains, dont Stéphane Bern ont aussi souligné que les donateurs petits ou grands qui en trois jours ont vidé leur portefeuille dans un but bien déterminé : retrouver Notre-Dame telle qu’elle était « avant », celle qui s’est effondrée sous leurs yeux. Ces donateurs ne doivent pas être déçus et si leur argent était utilisé à des travaux contemporains modifiant l’aspect extérieur de la cathédrale ils seraient en droit de se plaindre.
- Dans la longue lettre ouverte des 1000, au président de la République on ne trouve pas une seule fois le mot : édifice du Culte ou « lieu sacré ».
Cela n’enlèverait rien à la démonstration de rappeler que tel est bien le cas d’une cathédrale et que la communion de quelques jours des français face à l’incendie était sûrement de nature culturelle mais aussi relevait de l’admiration des foules du Moyen Âge d’avant l’édification d’un édifice sacré. Notre-Dame a d’abord été cela avant d’être un « temple » de l’architecture.
- L’un d’entre nous Henri de Lépinay, suivi par d’autres dans le monde du Patrimoine, a rappelé que, quel que soit le caractère emblématique de Notre-Dame, il y avait d’autres monuments historiques en France et que le moment était sans doute venu d’une révision complète de la politique Patrimoniale de ce pays.
Nous nous efforcerons dans nos actions et nos prises de position de nous appuyer sur ces principes en n’oubliant pas de soutenir les agents du ministère de la Culture qui, avec des entreprises spécialisées compétentes sont en train, jour après jour et heure après heure de conforter ce qui reste de Notre-Dame en faisant tout simplement leur métier. Ils démontrent que le service français des Monuments Historiques, pour peu qu’on lui en donne les moyens est assez passionné pour faire ce qu’il faut dans le temps court, afin de permettre la réflexion sur le temps long.
Notre première tâche sera de rejoindre celles et ceux qui comme Alexandre Gady, président de l’association Sites et Monuments (ex SPPEF), voudront éviter que le projet de loi et la future ordonnance permettent des aventures fort éloignées de ces principes.
Alain de la Bretesche,
Président de Patrimoine-Environnement
Tout le monde (c’est-à-dire le monde entier) s’accorde sur la valeur emblématique et culturelle exceptionnelle de ce monument qui appartient au patrimoine universel de l’humanité, y compris indépendamment de sa dimension religieuse. C’est pourquoi il a été notamment inclus par l’UNESCO dans le périmètre des berges de Seine en tant que bien inscrit sur la liste du patrimoine mondial.
Il est en particulier l’un des phares du paysage urbain de la capitale.
Restaurer un tel monument impose le respect de ses 850 ans d’histoire, de l’oeuvre de ceux qui l’ont construit et de la puissante symbolique qui s’y attache.
Certes, Viollet-le-Duc y a apporté sa touche à une époque où la politique des monuments historiques n’était pas encore complètement assise.
Mais, cette politique a beaucoup évolué depuis et repose aujourd’hui d’abord sur un critère d’authenticité, critère précisément déclaré parmi les critères retenus par l’UNESCO au titre du patrimoine mondial. Cela implique par exemple la simple restitution des éléments du patrimoine disparus ou endommagés et interdit en principe toute reconstruction d’ampleur (contrairement à ce qui est pratiqué dans d’autres pays, notamment de l’est).
Il n’est donc pas envisageable aujourd’hui, me semble-t-il, de jouer aux nouveaux Viollet-le-Duc en réinterprétant, en dehors de connaissances avérées, le monument d’une manière ou d’une autre. Ce qui est largement attendu (par tous les donateurs y compris et même peut-être plus encore, par les donateurs étrangers) et ce que défends, c’est une restauration « à l’identique » prescription largement émise par les autorisations de travaux délivrées sur le monument historique. Encore faut-il définir ce que l’on entend par « restauration à l’identique ». Une telle restauration n’impose pas un mimétisme absolu, mais seulement une restitution de l’oeuvre architecturale d’origine (ou d’une époque donnée), de son expression à la fois d’ensemble et jusqu’aux détails apparents.
Cela n’impose pas un usage intégral de techniques et de matériaux anciens notamment lorsque cela pourrait susciter des risques avérés ou pressentis. Ainsi la restitution à l’identique de la « forêt » n’est-elle pas nécessairement requise et peut laisser place à des structures résistantes au feu (ce qui a déjà été fait sur d’autres cathédrales). La toiture, en revanche, étant un élément visible de l’extérieur et participant à l’expression architecturale du monument, devrait s’inspirer très étroitement de l’aspect initial (dessin, couleur, patine).
Dans le cadre de principes qui précède, la reproduction d’une flèche ne me semble pouvoir poser qu’un alternative :
- soit une restitution identique à celle de Viollet-le-Duc,
- soit la restitution de celle qui la précédait.
En tout état de cause, un tel monument n’a pas besoin de « geste architectural contemporain » et il y a bien d’autres opportunités qui peuvent s’offrir en la matière, y compris dans Paris. Faisons donc avant tout confiance aux hommes de l’art qualifiés pour en assurer la pérennité. Telle est ma position.
Dominique Masson,
Secrétaire général de Patrimoine-Environnement