Mes chers amis quand je mourrai plantez un saule au cimetière : j’aime son feuillage éploré…
Dans une passionnante thèse de doctorat publiée au Canada en 2009, Luc Bussières s’interroge sur les origines lointaines des rites funéraires. Il explique que l’homme de Neandertal, lorsqu’il a commencé à inhumer ses semblables, n’obéissait à aucun des trois instincts fondamentaux qui régissaient alors le règne animal : la recherche de la nourriture, l’autodéfense et la reproduction de l’espèce.
C’est pourquoi, il se permet de citer la phrase de Patrick Baudry : « La mort provoque la culture ». Non parce que l’homme rencontre alors la religion, qu’il serait hasardeux d’affirmer existante à cette époque, mais parce que nos ancêtres font l’expérience du sacré, « un sentiment individuel dont le moteur est la sensation d’inconnu développé en marge de la conscience […]. » écrivait Marcel Otte (Préhistoire des religions, Paris, Masson, 1993, p. 16.). C’est le début des questions auxquelles certains trouvent une réponse tandis que d’autres continueront indéfiniment à chercher une lumière.
Qu’il s’agisse des rites du feu, du rite de l’inhumation et de tous les rites destinés à conserver la mémoire, chacun d’eux est donc encore aujourd’hui, pour tous, marqueurs de civilisation.
Un athée célèbre dont on parle beaucoup ces temps-ci : Jean-Jacques Annaud, réalisateur du Nom de la Rose, disait hier au Figaro : « Je suis athée, mais j’ai un énorme respect pour les lieux de culte. Vous allez rire à l’âge de sept ans, j’avais entrepris d’établir un inventaire des églises peu connues de France… ».
Nous n’entrerons pas ici dans la polémique visant à opposer les nécropoles entre elles ce qui induirait que l’on opposerait les dépouilles mortelles les unes aux autres en fonction de leur origine cultuelle. Quelle horreur !
Nous notons cependant que depuis 2008, les statistiques connues établissent en gros à plus ou moins deux cent par an les faits de profanation rendus publics qui naturellement, compte tenu de l’Histoire de la France et de sa démographie, touchent très majoritairement les sépultures chrétiennes.
Les mêmes spécialistes attribuent à des mineurs un grand nombre de ces actes. Cependant, les actualités récentes font place à d’autres types d’action dans les cimetières qui sont inquiétants : en particulier les expéditions dans les cimetières militaires dont la France n’est pas la seule victime comme on l’a vu récemment à El Alamein.
Faut-il relier cela avec l’accélération des menaces de destruction des églises : selon les excellents chiffres du blog – Patrimoine en blog – de notre ami Benoit de Sagazan à jour au 17 février :
- 297 églises menacées (dont 18 à Paris) ; 25 nouvelles églises en danger ont été signalées ce depuis le 1er janvier 2014
- 24 églises récemment démolies figurent dans cette liste dont une a été rasée depuis le début de l’année 2015.
Faut-il s’endormir tous les soirs en pensant à tous les militaires qui font le pied de grue devant les synagogues ?
Les causes de ces menaces ne sont pas toutes les mêmes et certaines sont beaucoup moins violentes : mais prenons garde, cependant, à deux idées :
– Les rites funéraires, qu’ils passent par l’église, la synagogue ou la mosquée ou encore un crematorium sans référence religieuses appartiennent à la culture : ils sont une culture et y toucher est très grave parce que cela signifie aux yeux des acteurs qu’ils n’ont pas intégré ce que représente l’homme lui-même, ses certitudes ou ses doutes.
– Quand le ministre de l’Intérieur se mêle de réformer l’organisation d’un culte. Que le chef de l’Etat prononce une allocution retransmise partout dans la manifestation d’un autre, cela signifie, espérons-le, que si la République ne reconnait aucun culte elle les respecte comme elle le doit.
Les femmes et les hommes du Patrimoine suggèrent que l’on fasse un petit effort pour les respecter tous et que l’on s’empare avec la même énergie des problèmes de chacun. Ce qui n’empêche nullement de respecter la priorité du moment ici en tâchant de ne pas oublier que là-bas : chez les Coptes au Niger ou ailleurs, les horreurs touchent tout autant des femmes et des hommes, issus eux aussi de Neandertal !
Il y a peu de temps notre fédération Patrimoine Rhônalpin a produit un travail considérable sur le patrimoine funéraire de sa région et alerté le ministère de la Culture avec lequel elle travaille actuellement sur la nécessaire protection de ces lieux de mémoire. Les maires, auquel le Premier Consul avait donné la police des cimetières et qui l’ont toujours dans leurs attributions, ont besoin d’aide et de soutien
Il est grand temps de faire prendre conscience, d’enseigner, aux jeunes générations qu’une civilisation qui perd ses rites funéraires est une civilisation déjà morte. Peut-être est-ce plus commode d’accomplir cette œuvre de transmission dans un cimetière qui est toujours chargé de l’histoire individuelle ou collective que dans les funérariums d’aujourd’hui entre les vitres dépolies et les bouquets de fleurs artificielles.
En tous cas les associations du Patrimoine sont disponibles pour ce type de tâches bénévoles.
Alain de la Bretesche
Président-délégué de la Fédération Patrimoine-Environnement
Président de la COFAC (Coordination des Fédérations et Associations de Culture et de Communication)
Administrateur de la Conférence CPCA (Conférence Permanente des Coordinations Associatives)
Administrateur d’Europa Nostra