Lubrizol : Vers la reconnaissance d’une indemnité pour le patrimoine ?
Le 26 septembre 2019, l’accident industriel de l’usine Lubrizol impacte la Ville de Rouen, ses habitants et son environnement. L’association La Boise de Saint-Nicaise, adhérente de Patrimoine-Environnement, œuvre pour la préservation et la sauvegarde de l’église Saint-Nicaise et de son quartier, dont nous suivons les actions de très près pour la réhabilitation de l’église.
L’association a choisi de mener une action, cette fois-ci, devant le Sénat et de faire reconnaître les conséquences négatives de cet événement sur le patrimoine rouennais.
Les prémices d’un principe d’indemnisation en cas « d’atteintes au patrimoine »
Le 2 juin dernier, un rapport de la commission d’enquête sénatoriale Lubrizol apporte une première réponse encourageante dans la reconnaissance d’un préjudice pour le patrimoine de la Ville de Rouen.
L’association La Boise de Saint-Nicaise et à la demande de la sénatrice Catherine Morin-Desailly présidente de la commission Culture, a produit des préconisations. Le rapport annonce ce qui semble être une amorce vers un nouveau degré d’indemnisation en cas d’« atteintes au patrimoine ». En outre, la commission d’enquête appelle à la nécessité de faire participer la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) et les associations de défense du patrimoine aux « structures de suivi des conséquences » d’un accident industriel.
Qu’est-ce qu’une commission d’enquête du Sénat ?
Parmi les moyens de contrôle dont disposent les assemblées parlementaires figurent les commissions d’enquête.
Elles permettent aux sénateurs qui la composent de recueillir par eux-mêmes des informations et de les porter à la connaissance du Sénat – et de l’opinion publique – soit sur la gestion d’un service public, soit sur des faits déterminés particulièrement graves.
Cela est apparu nécessaire dans le cas de l’accident de l’usine Lubrizol en septembre dernier. La commission est chargée d’évaluer les services de l’Etat dans la prise en charge sanitaire, environnementale et économique de l’incendie.
La mission des commissions d’enquête a un caractère temporaire : elle prend fin par le dépôt de leur rapport et, au plus tard, à l’expiration d’un délai de six mois à compter de la date de l’adoption de la résolution qui les a créée.
Les explications de la commission d’enquête Lubrizol
La question du patrimoine est traitée dans la seconde partie du rapport, au troisième point (« Réparer plus efficacement l’ensemble des préjudices »), petit c (« Prendre en compte les conséquences économiques à long terme de l’incendie »).
Nous en reproduisons ci-dessous le texte intégral (nous en soulignons la première phrase) :
« Par ailleurs, l’indemnisation devra prendre en compte les atteintes au patrimoine.
La contribution écrite de l’association rouennaise de défense du patrimoine “La Boise de Saint-Nicaise” rappelle que Rouen est, avec Paris et Nancy, une des villes françaises qui concentrent le plus de monuments inscrits ou classés au kilomètre carré. Dans sa contribution, l’association souligne que “la situation de son patrimoine monumental, exposé aux agressions de la pollution, au manque d’entretien et de fonds pour le restaurer, était déjà inquiétante avant l’accident Lubrizol. L’abbatiale Saint-Ouen, édifice de la taille d’une cathédrale et à la charge de la commune, atteste à elle seule de l’état général du patrimoine rouennais : ce dernier tombe littéralement en morceaux”. Or le surcroît d’émanations soufrées fixé sur les bâtiments dès les premiers jours suivant l’accident de Lubrizol par une pluviométrie abondante, amplifie un phénomène chronique et irréversible de nécrose de la pierre et du béton, en plus d’attaquer les vitraux anciens.
Quel coût supplémentaire la pollution accidentelle liée à l’incendie de Lubrizol va-t-il entraîner ? Les collectivités publiques, déjà fortement sollicitées, parviendront-elles à dégager des moyens supplémentaires, dans un contexte marqué par la baisse des dotations de l’État ? Le régime d’indemnisation à l’amiable mis en place est-il adapté à la couverture de ce préjudice qui pourrait ne se manifester qu’à long terme ? Autant de questions qui restent aujourd’hui en suspens et qui justifieraient que la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) et les associations de défense du patrimoine soient pleinement associées aux structures de suivi des conséquences de l’accident. »
En analysant plus précisément les propos de la commission, il est à relever dès la première phrase la volonté de rendre cette préconisation contraignante. Il faut néanmoins rester prudent sur son devenir, en espérant tout de même que cela puisse ouvrir une nouvelle porte d’entrée jurisprudentielle pour protéger le patrimoine fragilisé par les accidents industriels.
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