L’homme de la ruralité
Il est des hommes que l’on désignerait sans hésiter comme étant « l’homme de l’année de la ruralité » (un concours que je viens, sans vergogne, de créer pour les besoins de cet édito) :
C’est Régis Bourelly, maire de Saint-André-de-Valborgne dans le Gard : un village cévenol de 411 habitants qui a décidé au début de l’été de faire apposer à l’entrée de sa commune un panneau abondamment illustré sur lequel on peut lire : « Attention Village français : vous pénétrez a vos risques et périls. Ici nous avons des cloches qui sonnent régulièrement, des coqs qui chantent très tôt, des troupeaux qui vivent à proximité : certains ont même des cloches autour du cou, des agriculteurs qui travaillent pour vous donner à manger. Si vous n’aimez pas cela, vous n’êtes pas au bon endroit. »
Il y a quelques mois le maire de Valborgne avait été précédé dans ce peloton de tête de la ruralité active par Bruno Dionis du Séjour, maire de Gajac en Gironde, commune de 400 habitants qui a proposé que « les bruits qui font partie du paysage rural » tels que les meuglements, les sonneries de cloche, les chants des coqs, etc… soient inscrits à l’UNESCO, au titre du patrimoine immatériel, comme la gastronomie française.
Bruno Dionis du Séjour disait vouloir protéger ses concitoyens contre les procès à répétition que leur intentaient les « néo ruraux ». L’un d’entre eux lui avait rapporté comparaître devant les tribunaux depuis douze ans contre un voisin qui voulait qu’il fasse en sorte que les grenouilles de sa mare ne coassent plus !
Il y a quelques années à Lyon, où nous avions organisé un atelier d’urbanisme, la maire d’une commune suburbaine se plaignait de ces nouveaux arrivants, acquéreurs d’habitations, à moindre coût qu’en ville, qui se comportaient en syndicalistes de l’aménagement urbain, revendiquant un éclairage comme sur un grand boulevard et des trottoirs de compétition mais ne donnaient rien en échange, pas même une participation symbolique au comité des fêtes.
C’est ce qui a conduit Christophe Sueur, maire de Saint-Pierre-d’Oléron, à prendre un arrêté « pour préserver les modes de vie liés à la campagne, notamment pour ce qui concerne les animaux de la ferme dans une commune à dominante rurale ». Le maire d’Oléron voulait prendre les devants avant qu’il lui soit reproché de n’avoir pas, en vertu de ses pouvoirs de police, interdit le cri des mouettes ou le bruit du vent !
Il est vrai que le risque de contentieux existe et que la jurisprudence est abondante. Elle se fonde sur l’article L1311 du code de la santé publique qui dispose que les pouvoirs publics doivent préserver la santé humaine notamment à l’encontre du bruit.
Le chant du coq fait spécialement l’objet d’une jurisprudence importante et plutôt curieuse : en particulier un arrêt de la Cour d’Appel de Colmar qui explique que, ce qui est dommageable, ce n’est pas le chant du coq, c’est une répétition assez longue de son cocorico. Doit-on en conclure que les poulaillers devront être condamnés à l’insémination artificielle, puisque c’est d’abord pour assurer sa suprématie sexuelle que le coq chante et que s’il s’exprime tôt le matin, c’est pour faire connaitre à tous, « dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne » quel est le territoire sur lequel il l’exerce. « Deux coqs vivaient en paix, une poule survint, et voilà la guerre allumée… » versifie Jean de la Fontaine.
Au-delà des anecdotes tout cela me conduit à rappeler le livre de David Goodhart, auquel j’avait consacré un précèdent édito : « The road to somewhere ». Les villages de Valborgne, de Gajac ou de Saint-Pierre-d’Oléron ne se situent-ils pas « sur la route de quelque part » où l’on est enraciné et, qui voit passer en particulier l’été des cohortes « d’anywhere » des gens de nulle part et de partout, qui se piquent parfois d’une écologie à la Hidalgo, mais dont les enfants ne savent pas toujours que le lait ne se fabrique pas dans des briques en carton !
Bel été,
Alain de la Bretesche,
Président de Patrimoine-Environnement