Les sites inscrits : pour un parallélisme des formes en matière de protection du patrimoine

bandeau salon du patrimoine 2013Michèle PratsIntervention de Michèle Prats lors de la conférence du G8 Patrimoine – « Patrimoine et territoires : quelles problématiques d’actualité ? » au Salon International du Patrimoine Culturel jeudi  7 novembre dernier. 

POUR UN PARALLÉLISME DES FORMES

                  En matière de protection du Patrimoine

Chaque gouvernement, chaque ministre souhaite attacher son nom à une nouvelle loi. Jusqu’à présent, la Loi de 1930 sur les sites, elle-même issue de celle de 1906, avait vaillamment résisté et n’avait connu que quelques aménagements, qui tous allaient dans le sens de son amélioration.

Dans le cadre de la simplification administrative, un nouveau projet de loi porté par le Ministère en charge de l’Environnement, et dans le cadre du volet « paysage » de la loi sur la Biodiversité, envisage la mort programmée des sites inscrits, après avoir, dans un premier temps proposé leur suppression pure et simple, à la demande du Ministère de la Culture, au motif que les ABF en charge de son application sont surchargés… et que les sites inscrits n’apportent rien au dispositif de protection.

Les sites inscrits au titre de la loi de 1930 constituent un élément important et indispensable du dispositif de protection du patrimoine dont dispose l’Etat pour protéger les sites et les paysages.

De nombreux pays nous envient la souplesse de cette réglementation, et certains s’efforcent même de la copier, car elle a largement fait ses preuves en contribuant à préserver la beauté de nos paysages et à faire de la France le pays le plus visité au monde.

Selon le recensement du Ministère de l’Écologie (présentation à la Commission Supérieure des Sites le 27 juin 2013), il y a  4.880 inscrits, représentant une surface de 1 680 000 hectares, soit 2,8 % du territoire national , soit un acquis considérable qui se traduit de façon très visible dans nos territoires, par la protection de nombreux villages, de quartiers anciens, de vastes paysages ruraux ou naturels, de curiosités géologiques ou de lieux historiques ou littéraires.

Rochefort_aerienne_01Notons qu’en juillet dernier, le Conseil d’État a finalement accepté le classement au titre des Sites de l’Estuaire de la Charente, en prenant notamment en considération les complémentarités existantes entre le futur site classé et les parties inscrites associées. Les limites du site classé en l’absence d’espace de transition ne l’avaient pas convaincu…

En donnant un avis sur les permis de construire, notamment sur leur intégration dans le paysage, ou sur les permis de démolir, les ABF étaient les garants du maintien de la qualité de ces territoires. Aussi ont-ils été les premiers à réagir contre le nouveau projet de loi, dans une lettre adressée au Ministre de l’Ecologie, du développement durable et de l’énergie.

En fait, ce démantèlement de la Loi de 1930, en l’absence d’un autre système de protection des paysages « intermédiaires », est particulièrement dangereux.

En effet, les sites inscrits sont vécus par la plupart des élus comme des espaces de vigilance patrimoniale, peu contraignants mais garantissant une certaine qualité architecturale et paysagère, et souvent complémentaires d’espaces patrimoniaux présentant un plus fort degré de protection (sites classés, Secteurs Sauvegardés, Monuments historiques, ZPPAUP). C’est notamment l’outil le mieux adapté à la préservation des grands paysages encore peu soumis à la pression urbaine.

En outre, une telle mesure affaiblirait notre crédibilité vis-à-vis de la Communauté internationale, car les sites inscrits participent de manière non négligeable à la panoplie des outils de protection des paysages ruraux ou urbains, notamment dans les Biens inscrits au patrimoine mondial, tant en zone cœur qu’en zone tampon.

Supprimer les inventaires départementaux des sites inscrits, c’est également s’engager dans une politique de dérégulation qui va très loin dans la mesure où l’inscription des sites produit des effets dans d’autres législations, elles aussi dans le collimateur des aménageurs et de certains élus, comme la loi littoral ou la loi sur l’affichage.

En effet, selon la loi Littoral et ses textes d’application, les parties naturelles des sites inscrits doivent être obligatoirement inclues dans les espaces remarquables à protéger par les communes littorales lorsqu’elles élaborent leurs PLU et instruisent les permis de construire. En conséquence, faire tomber les inventaires des sites inscrits, revient à autoriser l’ouverture à l’urbanisation de toute une partie de notre littoral à l’occasion de la révision des PLU.

Dans les sites inscrits, l’affichage est interdit de droit et il ne peut y être dérogé que par l’élaboration par un règlement local de publicité qui fait l’objet d’une concertation et d’un contrôle de l’ABF. La fin des listes de sites inscrits, c’est aussi la voie ouverte à l’affichage débridé dans nos campagnes, nos villages et quartiers anciens protégés par leur inscription. On voit par ces deux exemples, les conséquences dommageables que ce projet va engendrer.Avec une réduction substantielle de la superficie des sites inscrits , la France, qui fut longtemps considérée comme pionnière en matière de protection des paysages,  va être l’un des premiers pays à s’engager dans une politique de réduction de ses espaces protégés, tels qu’ils ont été passés en revue dans la brochure « Les espaces protégés français » publiée en octobre 2010 par le Comité français de l’UICN. Dans cette entreprise, elle va accompagner la Grèce qui vient de voter une loi favorisant l’urbanisation touristique du littoral par voie de dérogation aux dispositions existantes de protection, ainsi que l’Espagne qui vient d’aménager sa loi de protection du littoral de 1988 pour régulariser des dizaines de milliers de constructions illégales. C’est oublier que la dérégulation immobilière, ainsi qu’on l’a vu dans les entrées de villes, aboutit à la destruction des paysages, qui sont l’une des richesses de notre pays et notre plus grand atout en matière touristique (7% du PIB).

 Que propose le nouveau projet de loi ?

Devant la levée de boucliers soulevée par une suppression pure et simple des sites inscrits, il a été progressivement fait marche arrière et l’état actuel des propositions est le suivant :

  • La procédure d’inscription est, pour l’instant, toujours définitivement supprimée
  • Les sites inscrits existants ont vocation à être abrogés :

    • Soit, lorsque leur suppression est justifiée par leur état de dégradation irréversible (cela semblerait représenter environ 20% de la superficie), mais aucune étude d’impact de la loi n’a véritablement été faite…
    • Soit parce qu’ils bénéficient d’une autre protection de niveau équivalent ou supérieur, site classé, AVAP, ZPPAUP…
    • Soit à être transformés en AVAP (sites construits) ou en Site classé (sites naturel ou ruraux), sur une période de 10 ans :

Cela devrait environ concerner ¼ du total, soit 1200 sites, auxquels il faut ajouter les 600 ZPPAUP existantes qui doivent être impérativement transformées en AVAP d’ici à dix ans au terme du précédent projet de loi, ce qui représenterait donc, en tout, 180 dossiers par ans (120+60).

Or, cet objectif est complètement irréaliste, sachant le temps et le coût, non seulement d’élaboration d’un dossier mais aussi ceux de la procédure d’instruction et d’enquête publique ; en effet,  actuellement on réalise, dans le meilleur des cas, une trentaine d’AVAP et une dizaine de sites classés par an (depuis 1906, outre les 4.880 sites inscrits, sur une superficie de 1 680 000 hectares, déjà mentionnés,   2 681 sites ont été classés, couvrant 932 609 ha)…

  • Il est également prévu, ce qui est une avancée par rapport au projet de texte précédent, pour les sites à dominante naturelle ou rurale ne répondant pas aux caractéristiques des sites précédemment visés et ayant vocation à être maintenus,  leur inscription  sur une liste, dans des conditions fixées par décret : cela devrait en fait représenter plus de la moitié des sites concernés.

On a l’impression que l’on applique la boutade du « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? », alors que, pour une fois, on avait un texte clair, simple, peu contraignant et apprécié par le plus grand nombre ?

Il est certain qu’après 85 ans, voire près de 100 ans si on remonte aux prémices de la loi (1906), il convient de procéder à un ménage qui n’a jamais été fait, tant pour les sites inscrits que pour les sites classés. Et je salue la volonté politique de le faire, mais cela aurait dû être un préalable et non une conséquence…

Nettoyer, oui, en opérant un toilettage, oui, mais en procédant en toute transparence, sur des critères bien définis, et après consultation des élus et du public tant sur la méthode que sur les résultats (en effet pour l’instant il n’est pas prévu d’enquête publique pour la désinscription). Cependant, cela ne devrait concerner, semble-t-il, d’après les experts, que 20 à 25% des espaces inscrits, et encore bien moins pour les sites classés, mieux contrôlés.

L’objectif de la simplification, compte tenu de la pression urbaine, de la complexité des procédures et des difficultés d’une véritable approche interministérielle et interdisciplinaire dans la gestion des territoires protégés, est de proposer des instruments appliqués à chaque catégorie de « bien » (au sens de la convention du patrimoine mondial), à savoir : monuments historiques, ensembles urbains, et paysages naturels ou ruraux.

Si on adopte cette logique qui a le mérite d’être claire et simple, sinon simpliste, il faut l’appliquer jusqu’au bout : à savoir, adopter un parallélisme des formes, cher aux juristes, avec un degré fort et un degré plus faible de protection dans chacune des catégories ainsi constituées :

  • Monuments : MH classés/ MH inscrits
  • Ensembles urbains et cités historiques : SS/AVAP
  • Sites et Paysages ruraux, naturels ou mixtes : Sites classés/ sites inscrits.

Cependant la réalité est complexe, elle ne s’accommode pas des aléas de l’organisation administrative du moment et des portefeuilles ministériels. Quid des biens mixtes ? Comment gérer la complexité de nos paysages fortement anthropisés, que l’on retrouve dans nos grands paysages culturels ou les zones tampons des biens du PM ? Quid de ce million d’hectares déjà inscrits et qui entrent dans cette catégorie, et de tous ceux qui mériteraient encore de l’être… ?

Comment gérer des espaces protégés correspondant à des territoires vivants, habités, évolutifs, mais dont on veut préserver la qualité, car elle représente notre cadre de vie, notre patrimoine, et un capital touristique non délocalisable pour la première industrie de notre pays, à condition bien sûr qu’il préserve son attrait…

Ce n’est pas en supprimant le nombre de sites protégés, car les ABF ne peuvent plus y faire face, ce n’est pas en saucissonnant les outils juridiques, par des textes aussi clairs et simples soient-ils, et en voulant réduire à marche forcée la complexité de la réalité physique et sociologique que l’on y parviendra, ce n’est pas en cassant le thermomètre que l’on fera baisser la fièvre… Si les ABF n’y arrivent pas seuls, organisons des coopérations avec des hommes de l’art et spécialistes du patrimoine, à des niveaux pertinents, et renforçons une approche concertée avec les élus et la population.

C’est grâce à une prise de conscience des véritables enjeux économiques et sociaux du patrimoine, une réflexion sur la gouvernance et une démarche holistique partagée, à tous les niveaux du territoire, et acceptée par tous, que l’on y arrivera.

                                                                      Michèle Prats, experte ICOMOS