Le Sénat s’est prononcé sur la loi ELAN
« Les catcheurs ont bondi d’un même élan…et vlan…c’est ce qui s’appelle sauter sur le client » disait une vieille chanson des frères Jacques.
Est-ce pour éviter que son nom soit associé à ce qui ressemble à première vue à une catastrophe patrimoniale que Monsieur Mézard, ministre de la cohésion des territoires, a expliqué aux sénateurs qu’il préférait que l’on se souvint du fond de la loi qu’il avait titré : « Évolution du logement, de l’aménagement et du numérique » ? Et le ministre a eu raison…on ne parle plus que de la loi « Elan ».
L’éditorialiste ne peut, sans devenir fastidieux, commenter toutes les dispositions de ce texte qui pourraient nous intéresser : suppression par les sénateurs de l’abrogation de la loi MOP pour le logement social décidée à l’Assemblée nationale, modification de la loi littorale, etc.
Mais concentrons-nous sur l’article 15 du texte qui a pour objet, une énième fois depuis vingt ans, de mettre face à face sur le ring les ABF et les élus locaux.
Pourtant, au cours de la discussion générale, Jean-Pierre Leleux, sénateur des Alpes Maritimes et rapporteur pour avis de la commission de la culture, avait mis en garde avec sagesse ses collègues :
« L’instabilité juridique que le projet de loi pourrait générer soulève d’autant plus d’inquiétudes qu’elle intervient dans des domaines où la stabilité des normes est particulièrement importante. La préservation du patrimoine est une action qui s’inscrit dans la durée et s’accommode mal des règles mouvantes ».
On a beaucoup reproché, entre autre chose, aux ABF l’instabilité que créait un nouveau chef d’unité territoriale qui remettait parait-il en cause lors de sa joyeuse entrée, les prescriptions de son prédécesseur, provoquant l’incertitude dans l’esprit des maires et des pétitionnaires. Que penser donc d’une Chambre, qui après avoir voté il y a deux ans un texte équilibré, objet d’un consensus parlementaire plutôt rare, le détricote allègrement à première demande ?
Le président de la République dans un courrier adressé aux présidents des associations du Patrimoine avait voulu calmer les « élans » des protagonistes en soulignant que les atteintes à l’avis conforme de l’ABF prévues par le texte étaient marginales : l’installation des antennes de téléphonie mobile et l’habitat indigne. Le sénateur Leleux que nous remercions de son discours, s’est efforcé de remonter un courant contraire : « Le but de l’avis conforme est de garantir que les enjeux patrimoniaux puissent aussi être pris en compte, au même titre que d’autres enjeux. Ne nous y trompons pas, les quatre cas qui nous sont soumis aujourd’hui sont loin d’être anodins et pourraient entraîner des atteintes irréversibles à notre patrimoine ».
Le Sénat n’a pas écouté Cassandre et malgré une demande de scrutin public, la Chambre Haute a rejeté le 17 juillet 2018 l’amendement de suppression des exceptions à l’usage de l’avis conforme déposé par Jean Pierre Leleux et Françoise Ferat co-rapporteurs de la loi LCAP de juillet 2016 par six voies de majorité.
Les carottes ne sont pas tout à fait cuites. En effet trois amendements du rapporteur pour avis tendant à instaurer un dialogue entre le maire et l’ABF ont été adoptés :
– Possibilité concurrente pour le maire de proposer à l’ABF une modification du périmètre de 500 mètres autour des monuments protégés : le fameux « périmètre intelligent »,
– Obligation de faire mention de la possibilité de recours sur les notifications d’avis défavorable
– Obligation de rendre publiques les décisions du préfet statuant sur ces recours, après avis de la commission régionale de l’architecture et du patrimoine.
Le texte voté par le Sénat étant ainsi légèrement différent de celui de l’Assemblée, la commission mixte paritaire devra être saisie. Mais nous n’avons guère d’illusion sur les résultats de cette concertation ; les membres de la commission défendront sans doute majoritairement le texte voté par l’Assemblée nationale.
Quelles conclusions tirer de cet épisode remettant en cause le rôle de l’État dans la protection du Patrimoine ?
Une grande inquiétude pour les quartiers dégradés que le maire voudrait abattre. Un peu de connaissance historique ne nuit pas : avec un tel texte que serait devenu le quartier du Marais à Paris qui en 1962 était couvert d’habitats indignes, et celui de Saint-Jean à Lyon que Malraux a sauvé in extremis des pelleteuses d’un maire particulièrement iconoclaste.
Une constatation : les maires, par sénateurs interposés se sont tirés une balle dans le pied étant donné que le maire ne pourra plus dire à sa clientèle électorale « mon pauvre ami, je n’y peux rien : c’est l’ABF ». S’il remet en cause l’avis simple il faudra qu’il assume politiquement. Tout comme il fera face au contentieux qui ne manquera pas de s’ouvrir.
Ensuite l’absence de la ministre de la Culture au Sénat a créée un double malaise : vis-à-vis des parlementaires qui soutenaient l’amendement de suppression et surtout vis-à-vis de ses subordonnés. Comment faire confiance à une « cheffe » qui ne vous protège pas ?!
Enfin l’ouverture d’une porte : ce combat de catcheurs petits bras entre quelques élus et quelques ABF ne peut plus durer. La porte ouverte par la loi Elan ne manquera pas de susciter d’autres initiatives contre « l’avis conforme ».
Il est grand temps de demander à ce corps de fonctionnaires dont la protection du Patrimoine ne peut se passer de se reformer, non pas d’abandonner des tâches éminemment régaliennes, mais de modifier leur pratique, leur formation, leur rapport aux élus, pour apprendre la science de la communication. Dans cinq ou six ans, d’ici avec les mêmes textes, de misérables vous deviendrez puissants et les jugements de cours passeront du noir au blanc.
Alain de la Bretesche,
Président de Patrimoine-Environnement