Le prix Pritzker
La plus haute distinction mondiale de l’architecture pour 2021 vient d’être décernée aux architectes Lacaton et Vassal.
Commentaire de Madame Monique Barge, Architecte :
Ces architectes clament haut et fort n’avoir d’autre souci que de proposer, sans surcoût, des espaces supplémentaires lumineux, intérieurs ou extérieurs, polyvalents voire inachevés ou sans affectation. Ils laissent uniquement au résident le libre choix de l’utilisation pour ce qu’il considère comme son bien-être et celui de sa famille.
Selon eux, la valeur patrimoniale d’un bien est celle attribuée par les habitants et repose sur la valeur affective. Peu leur importe, la prise en compte de la construction préexistante vue du dehors, mais seule les intéresse la valeur du vécu vue du dedans et qui est ressentie par celui qui l’habite.
Ces espaces sont des greffes adjointes à un “porte-greffon” existant dont ils ne cherchent pas à développer l’esthétique. Ils donnent entière priorité à la recherche d’espace supplémentaire en visant néanmoins, ce qui est bien le rôle de tout architecte, à tirer un parti économe en énergie le plus intelligemment possible. Cela évite, de fait, de se retrancher derrière l’amoncellement de normes qui imposent de vivre comme dans un blockhaus pour être sûr de faire des économies d’énergie.
Dans les collectifs, tels les 100 logements de la tour Bois-le-Prêtre (2011) ou les 53 logements HLM à Saint-Nazaire, c’est partout une recherche de foncier artificiel, tout autour du porte-greffon en faisant l’économie de sa démolition. Ajoutant des modules préfabriqués greffés, soit sur les appartements, ils transforment alors à moindre coût la façade de l’immeuble quand elle peut se modifier pour offrir plus de lumière, soit sur la couverture en offrant des mètres carrés privatifs avec toute utilisation possible.
Profiter de deux fois plus d’espace, qui s’y opposerait ? Mais arriver à ce qu’ une surface ainsi doublée coûte le même prix que la surface initiale rénovée implique une gradation des priorités sûrement repensée différemment.
Lacaton et Vassal, qui affirment que “leur travail consiste à résoudre les contraintes et les problèmes et à trouver des espaces qui peuvent créer des utilisations, des émotions, des sentiments”, ont décidé de recueillir sur place le souhait des habitants.
À notre avis, cependant, telle n’est pas la spécificité d’un architecte, mais le rôle d’un bon programmiste, à condition qu’il soit mandaté par le maître d’ouvrage avec une optique laissant le libre choix à l’architecte chargé du projet d’offrir de multiples solutions dans un budget défini par son programme.
Ainsi, si l’école d’architecture de Nantes a permis, pour le même coût, une telle augmentation de mètres carrés entre son programme et la réalisation, c’est qu’il y avait au départ un mauvais programme. C’est donc bien le maître de l’ouvrage qu’il faut inviter à de telles réflexions à composantes humaines.
En ce qui concerne les rénovations de maisons individuelles, Lacaton et Vassal combinent espaces généreux avec budgets modestes et techniques écologiques. Les propositions ont les mêmes objectifs que pour les rénovations d’immeubles collectifs.
Les premières ne prennent pas plus en considération le “porte-greffon” et sont encore plus étonnantes puisqu’elles ne permettent même plus de percevoir la maison initiale (la façade arrière Latapie de Bordeaux est complètement masquée).
Les propositions «jardins d’hiver» traitées comme des serres horticoles ne présentent pas la robustesse exigée par les normes du bâtiment ; elles ne manifestent pas non plus la prise en compte de leur maintenance, de leur pérennité, de leur entretien et de la durabilité que les assureurs exigent.
Les assurances qui représentent un prix non négligeable dans la construction d’une maison (assurance décennale ou dommage ouvrage obligatoire etc.) alourdissent son coût. Toutefois, si ces garanties sont considérées comme secondaires, elles sont malgré tout imposées réglementairement et présentent un frein trop fort dans les priorités financières des habitants actuels qui préfèrent « bricoler » eux-mêmes leurs finitions (succès des Monsieur Bricolage etc.) pour un habitat qui durera moins longtemps.
« Quand on nous dit que le citadin n’a pas besoin d’un grand logement parce qu’à côté, il a les lieux de coworking, le café, le cinéma, on ne peut pas être d’accord. Bon nombre de familles n’ont pas les moyens de vivre comme ça. Et puis, on peut aussi avoir envie d’avoir un espace à soi, dans lequel on soit libre. Nous sommes très attachés à cela. Mais ce n’est clairement pas la tendance aujourd’hui. Le plus déroutant, c’est qu’on ne rencontre pas d’envie, pas de motivation, pas de générosité. Et ça c’est terrible pour l’architecture. » s’exprime en ces termes Anne Lacaton dans Le Monde 02/12/2019