L’information juridique – La prophétie des grenouilles bientôt protégée ?
Le 22 janvier dernier, le Président de l’Assemblée nationale a reçu un rapport, rédigé au nom de la commission des Affaires Culturelles et de l’Education sur la proposition de loi de M. Pierre Morel-À-L’Huissier et de plusieurs députés visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes.
Chant du coq, tintement des cloches, braiement de l’âne, odeur du fumier ou du crottin, coassements des grenouilles : autant de bruits et d’effluves qui font partie intégrante de la vie rurale. Ils donnent pourtant lieu à de nombreux conflits de voisinage, dont certains ont été médiatisés comme les cloches de Bondons, ou plus récemment l’affaire du coq « Maurice » de l’île d’Oléron. Dans cette affaire, les juges ont dû se prononcer sur la fréquence, la durée et l’intensité du chant du coq, en tenant compte du moment de sa survenance (nuisances diurnes ou nocturnes, période estivale), et de sa localisation (milieu rural, lotissement). Après observation de tous ces points, le tribunal de Rochefort (Charente Maritime) a ainsi jugé que le coq Maurice pourrait continuer de chanter.
Dans le cas d’aboiements de chiens, doublés du chant du coq, les juges avaient reconnu l’anormalité du trouble, « peu important, d’autres voisins ne se plaign[ant] pas de cette situation » (Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 17 Décembre 2015, n° 14/16468). Pour les mêmes raisons, les propriétaires d’une marre à grenouilles ont été condamnés à verser 3 000 euros à leurs voisins et à combler l’étendue d’eau (Cour de cassation, 14 décembre 2017, n° 16-22.509).
La présente proposition de loi, signée par soixante-dix députés appartenant à différents groupes politiques, visait deux objectifs :
– reconnaître la valeur intrinsèque de notre patrimoine rural et de son authenticité, en protégeant un mode de vie. Le chant du coq, le bruit des cigales, l’odeur du fumier, ne sont pas des nuisances mais des caractéristiques intrinsèques et authentiques de la vie rurale qu’il faut valoriser ;
– lutter contre les contentieux de voisinage portés par les personnes qui s’installent à la campagne sans en accepter les caractéristiques intrinsèques.
Cette proposition de loi créée ainsi une nouvelle catégorie de patrimoine, celle du patrimoine sensoriel constitué des odeurs et des sons propres à la campagne et la vie rurale. Les émissions sonores et olfactives faisant partie de ce patrimoine sensoriel des campagnes ne peuvent pas faire l’objet d’un recours pour trouble de voisinage.
Finalement, la commission a adopté un texte largement réécrit qui conserve néanmoins les objectifs initiaux de la proposition de loi déposée, introduisant notamment un article 1er bis dans le code du Patrimoine permettant la prise en compte, dans l’inventaire général du patrimoine culturel réalisé par les régions, des activités, pratiques et savoir-faire agricoles dans les territoires ruraux.
Ce texte, soutenu par le ministre de la Culture Franck Riester sera examinée dans l’hémicycle ce jeudi 30 janvier.
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