La loi SRU et le patrimoine : 20 ans bientôt…

La France aime les commémorations qui permettent souvent de tirer des enseignements pour le présent. Celle des 20 ans de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, couramment appelée loi SRU[1], du 13 décembre 2000, ne doit pas être oubliée par ceux qui s’intéressent au patrimoine bâti.

Ruelle du village d’Aiguèze, en Ardèche © Armin S Kowalski

En effet, bien que portant sur des sujets très variés et largement influencée par la situation de la région parisienne et des grandes métropoles régionales confrontées à la difficile gestion des grands ensembles sociaux, cette loi avait des incidences sur le patrimoine. Elle en élargissait l’approche en permettant aux communes, et notamment aux plus petites, de prendre en compte des éléments locaux jusqu’alors ne bénéficiant pas de la reconnaissance patrimoniale puisque n’étant ni protégés au titre la loi de 1913,  ni intégrés à un des dispositifs existants (abords, secteurs sauvegardés ou ZPPAUP).
L’identité locale, éternelle parent pauvre des politiques culturelles autres qu’associatives, trouvait une place dans le droit de l’urbanisme. La mesure était d’importance et attendue des défenseurs du patrimoine vernaculaire qui savent combien celui-ci est fragilisé lors des opérations de renouvellement urbain fussent-elle à l’échelle de petites communes. L’évolution des communes doit passer aussi par la prise en compte de l’existant, base de la mémoire du territoire. Voilà ce que permettait la loi de 2000. Cela transparaît à la fois dans l’économie générale du texte, et à travers certaines de ses dispositions.

La loi SRU, renfort légitime d’une approche patrimoniale

Tout d’abord d’une manière formelle, en substituant au Plan d’Occupation du Sol (POS), le Plan Local d’Urbanisme (PLU) il y avait beaucoup plus qu’un changement de mot  – ce qui ne fut peut-être pas immédiatement perçu-  c’était l’économie générale du document qui était modifiée.
Les POS jusqu’alors comme leur nom l’indique, étaient axés sur le zonage, sur l’établissement d’une carte, à l’échelle de la commune, du mode d’occupation des sols : zones à urbaniser, zones d’activités, zones naturelles… Donc, leur objet était très fonctionnel, héritage de toutes les approches issues de la Charte d’Athènes des années Trente. Or, la loi de 2000 modifiait ce paradigme en associant au plan proprement dit et au règlement, un nouveau document, le Projet d’Aménagement et de Développement Durable (PADD). Dans ce texte, au-delà du seul mode d’occupation des sols, l’équipe municipale définit un certain nombre d’objectifs venant nourrir le projet de développement. Il devient non seulement fonctionnel mais qualitatif. C’est en ce sens qu’il est durable. L’identité locale dont le patrimoine est le principal vecteur et qui permet à une commune de se différencier de sa voisine et donc d’être attractive, est ainsi reconnue. Certes, le PADD n’est plus opposable aux tiers depuis la loi Urbanisme et Habitat du 2 juillet 2003 mais il demeure comme une charte et fait toujours partie de l’enquête publique. Il permet de rendre compréhensible et audible aux administrés un document qui pourrait paraître non seulement ardu mais aussi très contraignant. Il donne du sens au projet. Vingt ans après, il mérite d’être mieux apprécié.

La seconde grande disposition en matière de patrimoine et en particulier du bâti existant, du texte de 2000, découlait de son article L 123-1-5-7ème alinéa, devenu L. 151-19  qui permet au règlement des PLU d’« identifier et localiser les éléments de paysage et les quartiers, îlots, immeubles, espaces publics, monuments, sites et secteurs à protéger, à mettre en valeur, à requalifier pour des motifs d’ordre culturel, historique ou écologique et définir le cas échéant les prescriptions de nature à assurer leur protection »[2]. Ainsi, la loi a-t-elle renforcé la légitimité d’une approche patrimoniale dans les documents d’urbanisme. Il convient aussi d’insister sur les derniers mots de la phrase qui font mention de prescriptions à définir pour assurer la protection des éléments distingués. Il s’agissait là de la reprise, désormais étendue, d’une disposition essentielle apparue dans la loi Paysage de 1993 (art.3). Listes et prescriptions sont complémentaires : sans prescription, la simple liste ne suffit pas. On le sait d’autant mieux que de telles listes existent déjà avec l’Inventaire général, créé à l’origine par Malraux et maintenant régionalisé, dont on ne pouvait regretter que, jusqu’à la loi SRU, il n’ait pas trouvé à être mieux intégré aux politiques d’urbanisme.

Bilan et perspectives lors de prochains colloques ?

Mais célébrer un anniversaire est aussi l’occasion de faire un bilan ce qui pourrait être l’occasion des divers colloques qui, espérons-le en fin d’année viendront célébrer la loi dans ses différentes mesures.
En matière de patrimoine, le premier bilan devra porter justement sur la manière dont il a été pris en compte. Analyser les effets, les réussites comme les échecs. Que dire à propos aussi du « PLU patrimoine » dont certains auraient voulu faire une catégorie spécifique alors même que la loi n’employait pas ce terme[3] ? La loi ayant fait place au patrimoine dans le PLU cela n’est-il pas suffisant ? Une pratique s’est établie faisant que certains PLU intègrent pourtant mieux que d’autres à leur projet, le patrimoine bâti. Elles font du « faire avec » un moyen de dépasser l’ancienne dialectique « détruire ou conserver ». Faut-il légiférer en ce sens ? Sans doute non.
En matière de pratique, il y a aussi, en revanche des points à améliorer. Ainsi « Identifier et localiser » impose que ceux qui décident et établissent les PLU soient capables de se livrer à cette identification et à cette localisation. Or, sur ce point, les lacunes de méthode comme de la formation sont encore importantes. La pratique montre que d’un lieu à un autre le terme « patrimoine » correspond à des réalités différentes. Il faut être praticien de l’histoire locale pour pouvoir l’identifier. Il faut bien connaître la trame et les formes urbaines pour localiser un linéaire de front de rue ou une cour commune ou encore comprendre la nature des évolutions antérieures de la commune, liées souvent à des fonctions passées.
L’étude de nombreux PLU montre que les bureaux qui les établissent n’ont pas nécessairement un tel regard et cette approche quasi sensuelle d’un territoire. C’est pourtant elle qui permet d’inscrire son développement dans une perspective durable.

Parthenay-coeur de village © Camillia K

Oui l’anniversaire des 20 ans de la loi SRU aura beaucoup à apporter pour une meilleure prise en compte de l’existant dans les projets d’aménagement.

Philippe Montillet,
Président-fondateur de l’association Territoire Mémoire Développement


[1] Loi n° 2000-1208. Ce texte n’avait pas pour objet principal la question patrimoniale puisqu’elle concernait une réforme du droit de l’urbanisme notamment des documents d’urbanisme, celle du logement social en fixant un quota communal ou encore la gestion des copropriétés sans oublier un volet transport !

[2] A noter que cet article existait quasi identique dans la loi d’orientation foncière de 1967 (art 13-5°), mais il ne participait pas à la pratique courante de la loi plus  axée sur le Plan que sur le projet. Voir sur ce point l’article de Ph. Genestier dans Pour Mémoire, Hors série n° 26, été 2019. L’évolution pour une approche plus sensible du territoire ne se fera sentir qu’après les années 1980 c’est-à-dire après la décentralisation….

[3]Sur le PLU Patrimoine, voir les travaux du programme de Recherche de l’Agence nationale de la Recherche, pilotés notamment par l’Université d’Angers