La loi ELAN, vous avez dit un grand bon en avant ?
Le Conseil constitutionnel, interprétant la Déclaration des droits de l’homme dont il est le gardien, a défini depuis plusieurs années déjà le principe de « clarté de la loi ». La loi doit être intelligible pour être conforme à la Constitution. Interrogez votre voisin et demandez-lui ce que veut dire « Elan ». Devant son silence interrogatif, aidez-le. Selon le décret qui transmet le projet de loi à l’Assemblée Nationale, on entend par là :
E comme évolution,
L comme logement,
A comme aménagement et
N comme numérique
Comme l’a répété avec force l’ancien sénateur Yves Dauge, auteur d’un rapport apprécié de tous, le dessein de ce texte qui caractérise « l’évolution » est défini dès le début du projet : « construire plus, plus vite et moins cher ». De là, comme il l’a explicité hier devant la commission de la Culture du Sénat où nous participions avec lui à une table ronde, à se retrouver cinquante ans en arrière dans les nécessités de l’immédiate après-guerre il n’y a qu’un pas.
Pourquoi se mobiliser ?
Bien entendu Patrimoine-Environnement souhaite, comme tous, que le nombre de logements soit suffisant pour tous ceux qui en ont besoin. Mais nous ne sommes pas des « perdreaux de l’année » et nous sommes légitimes à rappeler ce que disait à cette époque l’un de nos fondateurs, Raoul Dautry, ministre de la reconstruction sur la qualité du logement et de l’aménagement, et un peu plus tard au début des années 1960 Henry de Ségogne qui a prêté sa plume à André Malraux pour écrire la loi qui porte son nom.
Faut-il faire table rase de la loi Malraux ? Faut-il écouter Mao Tse-Toung qui du haut de son impériale bêtise avait écrit : « sans destruction, pas de construction » ? Faut-il oublier qu’après-guerre et vingt ans plus tard, si l’on avait rasé tous les logements indignes et insalubres il ne resterait à peu près rien du Patrimoine que la loi Malraux a sauvé.
La difficulté de notre réflexion tient au fait que, avec Martin Malvy et onze autres présidents d’associations, nous avons écrit au président de la République pour nous inquiéter de ce que nous savions du projet de loi et qu’il nous a répondu en tentant de nous rassurer : l’avis conforme des ABF ne serait mis à mal que dans deux cas :
- l’implantation des antennes de téléphonie mobile ;
- et les permis de démolir l’habitat indigne ou insalubre, ou objet d’arrêté de péril.
Pouvions-nous être tranquillisés ? Après analyse, nous avons pensé que non et nous tentons actuellement d’expliquer pourquoi au chef de l’État et aux parlementaires qui nous ont reçu hier matin au Sénat et hier après-midi à l’Assemblée Nationale, Bertrand Perret, administrateur de notre association et moi.
L’inquiétude des associations
Quelles sont nos inquiétudes, disons même nos peurs :
D’abord la méthode, la création très communicante d’une conférence dite « de consensus » autour du ministre de la Cohésion des territoires à laquelle aucun opposant n’a été invité, en tout cas pas nous. Par contre au fil des réunions, l’influence des opérateurs de téléphonie comme Orange, ou des bailleurs sociaux s’est fait sentir de plus en plus. Le grand dessein d’Emmanuel Macron a été progressivement remplacé par les intérêts des lobbyistes.
Ensuite, M. Mézard qui était encore sénateur il y a quelques mois a oublié qu’à ce titre il a voté en 2016 la loi LCAP, dont l’équilibre, le consensus politique entre les deux chambres et les groupes politiques était un modèle du genre : pourquoi détricoter moins de deux ans après ce texte solide ? Il était à cet égard roboratif d’entendre hier Mme Morin-Desailly, présidente de la commission de la Culture, dire haut et fort qu’elle-même et sa commission ne laisseraient pas détruire la loi LCAP.
Il y a aussi la suppression des concours d’architecture pour les logements sociaux : un coup porté à la loi sur l’architecture de 1977. Pourquoi les classes défavorisées seraient-elles vouées à vivre dans des immeubles sans aucune qualité architecturale alors que le coût des concours et des « missions complètes » des architectes ne représentent qu’un faible part des budgets ? Encore une régression !
Il y a ensuite cette nouvelle entrée en guerre contre l’avis conforme des ABF. Comme je l’ai exprimé devant la commission, la réalité est très loin du ressenti. Il y a 1,6 % des permis de construire qui sont attaqués devant les tribunaux ; et s’agissant des recours contre les avis des ABF, sur 200.000 dossiers par an 105 sont l’objet de recours et 81% de ceux-ci sont confirmés par les tribunaux.
Il n’y a donc pas de réalité ! Mais il faut sans doute s’occuper du ressenti, les élus continuant à penser que les ABF sont sources de retard et de blocage des constructions. Ce n’est pas par la loi que des résultats psychologiques s’obtiennent.
S’agissant des deux points de la réforme proposée, constatons tout d’abord que les opérateurs de téléphonie mobile voudraient bien utiliser les clochers d’églises pour installer leurs antennes : pourquoi priver les maires, lorsque l’on est dans une zone protégée où l’avis conforme est nécessaire, du concours gratuit de l’ABF afin que l’on évite le « n’importe quoi » ?
Beaucoup plus grave est l’idée de supprimer l’accord de l’ABF sur les immeubles dégradés, indignes ou insalubres. C’est précisément ceux-là qu’il faut conserver pour les restaurer, en centre-ville, mais aussi dans les bourgs ruraux.
Un peu d’espoir ?
Nous ne nous sommes pas contentés d’une position défensive et nous avons fait des propositions que je ne détaille pas ici mais dont nous reparlerons.
Après la table ronde sénatoriale, nous avons été reçus par M. Raphaël Gérard, député LRM que nous avions convié à un débat devant notre récente assemblée générale. Il est rapporteur pour avis de la commission de la Culture de l’Assemblée sur le projet.
Notre détermination est grande, et nous espérons que, au vu de notre réponse collective, le Président de la République nous aidera et que les parlementaires vont se réveiller. Après les avancées de la mission Bern, la création d’un fond pour le Patrimoine rural, une première amélioration budgétaire, il serait dommage que nous perdions confiance dans l’exécutif.
Alain de la Bretesche, Président de Patrimoine-Environnement