La Butte-Rouge, toujours en péril

Jardins de la Butte Rouge
© VVVCFFrance via Wikimedia Commons

La décision vient d’être prise : le classement de la cité-jardin de la Butte Rouge de Châtenay-Malabry à titre de site patrimonial remarquable (SPR), en application du Code du patrimoine.

On pourrait s’en réjouir, mais le projet de SPR a été instruit et finalisé sur des bases bancales ce qui limite cette protection par deux facteurs :

? Son périmètre géographique n’est pas global mais partiel et exclut de cette protection plus de la moitié des bâtiments composant la Butte rouge. Cette cité-jardin, véritable œuvre urbaine, constitue pourtant une entité que l’on ne saurait amputer de la sorte sans la vider de sens en termes d’urbanisme et d’architecture ;

? Le choix du plan de gestion qui doit suivre ce classement appartient à la commune sauf éventuel avis contraire de la Commission Nationale du Patrimoine et de l’Architecture (CNPA), à savoir :

  • soit un plan de valorisation de l’architecture et du patrimoine (PVAP), servitude d’utilité publique uniquement patrimoniale, annexée au plan local d’urbanisme (PLU), dont les dispositions réglementaires, d’une part, peuvent être très sélectives et, d’autre part, interdisent, en propre, toute prescription d’urbanisme (dont précisément le régime des démolitions),
  • soit un plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV), véritable document d’urbanisme
     se substituant au PLU sur le périmètre qu’il couvre,
  • voire une combinaison des deux.

Pourtant, le code du patrimoine prévoit que, en cas de désaccord de la commune, un SPR peut (ici, sur la base d’un périmètre différent) être classé par décret en Conseil d’État après avis de la CNPA.

Nonobstant cette faculté, un arrêté de la ministre de la culture a cependant été pris le 5 juillet dernier (paru au J.O. le 11 juillet) dans le sens d’une telle protection partielle.

On peut d’ailleurs se demander la raison d’une telle précipitation… entre les deux tours des élections législatives ; mais, une fois l’instruction locale accomplie, ceci est parfaitement légal.

Là où le bât blesse, c’est que cet arrêté fait fi des positions négatives prises successivement par la CNPA, par une très grande majorité de déposants à l’enquête publique portant sur la création du SPR et par la commissaire-enquêtrice en fin d’enquête.

En particulier, cette dernière mentionnait dans son rapport : « Le projet proposé n’est pas le classement de la cité-jardin au titre de SPR, mais est un SPR au sein de la cité-jardin. (…) Je vois un intérêt à protéger la globalité du site en élargissant le périmètre du SPR. Ainsi, les travaux sur toutes les parcelles y compris les espaces verts nécessiteront un accord de l’Architecte des Bâtiments de France ».

Or, si la CNPA s’est prononcée le 21 septembre 2023 à l’unanimité sur l’opportunité d’un classement en SPR, elle n’a pas délivré d’avis favorable au périmètre présenté.

Même si tous ces avis ne sont pas déterminants au regard de la décision à prendre, on peut remarquer que l’arrêté ministériel du 5 juillet, en ne faisant que viser, sans les circonstancier, les avis de la CNPA et de la commissaire-enquêtrice, pourrait, sur le plan de la légalité externe, être entaché d’un défaut de motivation.

De plus, sur le plan de la légalité interne, la décision ministérielle, instituant un périmètre partiel de classement en SPR, nous apparaît pouvoir relever d’une erreur manifeste d’appréciation.

C’est pourquoi 5 associations[1], 2 locales et 3 nationales dont notre fédération, partenaires dans cette affaire, ont solidairement déposé le 6 août dernier, soit un délai de moins de deux mois à compter de la parution de cet arrêté au J.O., un recours sommaire devant le Conseil d’État qui, s’il est accepté, évoluera en recours contentieux.

L’objectif poursuivi n’est pas tant l’annulation pure et simple de l’arrêté ministériel du 5 juillet qu’une injonction du Conseil d’État pour un élargissement du périmètre à la totalité de la cité-jardin.

Cette démarche légitime est essentielle, car cette affaire porterait, en l’état, gravement atteinte sur le fond à la crédibilité du dispositif des SPR issu de la loi LCAP.

Rappelons-le, ce dispositif vise : « la conservation, la restauration, la réhabilitation ou la mise en valeur [des villes, villages ou quartiers présentant,] au point de vue historique, architectural, archéologique, artistique ou paysager, un intérêt public ».

Il est de plus possible de classer, « au même titre, les espaces ruraux et les paysages qui forment avec ces villes, villages ou quartiers un ensemble cohérent. ».

Or, quoi de plus cohérent qu’une cité-jardin en elle-même avec son propre paysage qui lui est indissociable … ?!.


[1] Associations Châtenay-Patrimoine-Environnement, Sauvona la Butte Rouge, Sites et Monuments, Docomomo et notre fédération Patrimoine-Environnement