La Butte-Rouge

La Butte-Rouge, 1938 © Archives Nationales

Dans le cadre des Journées Européenne du Patrimoine, je viens de participer et de coanimer une visite de la cité-jardin de la Butte Rouge à Châtenay-Malabry.

Cette visite m’a amplement conforté dans l’opinion que l’affaire en cours, relative à la déplorable protection partielle de cette cité-jardin, représente en elle-même un cas d’école majeur à ne pas négliger.

Cette affaire remet en question non seulement la politique d’urbanisme concernant la prise en considération des tissus urbains existants, mais aussi la politique de protection issue de la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP) du 7 juillet 2016.

À ces titres, elle pourrait, à elle seule, décrédibiliser le dispositif de protection du patrimoine aujourd’hui applicable (sinon appliqué).

Même sa réalisation étalée, en sept tranches, sur plusieurs dizaines d’années, mais poursuivie en respectant sa composition d’origine, ne contredit pas cette véritable œuvre urbaine.

Le soutien apporté à son maintien par de nombreux architectes de renom national et international, par plusieurs associations nationales, par Europa Nostra… en atteste si besoin en était.

C’est, en effet, une œuvre urbaine, des plus grandes parmi les cités-jardins, qui, ce n’est pas rien, s’étend sur quelques 80 hectares et comptait, après sa complète réalisation, plus de 4.000 logements sociaux.

Sa conception, loin de tourner le dos à la modernité et au concept de « développement durable », était parfaitement avant-gardiste sous de nombreux aspects (urbanistique, architectural, social …).

Elle correspondait à ce que l’on dénomme aujourd’hui un « écoquartier ».

Comment, raisonnablement, amputer cette cité-jardin d’une part majoritaire, non seulement de ses immeubles (dont beaucoup sont, dans le projet de la municipalité, destinés à la démolition sinon à un profond remaniement), mais également de ses espaces boisés qui leurs sont indissociablement liés selon le concept même de  « cité-jardin » ?

Ne serait-ce pas, de fait, la volonté d’une « mixité urbaine » de bon aloi pour rectifier sinon éviter les quartiers « à risques » ?

De ce dernier point de vue, même si, exceptionnellement, des dégradations ont pu ponctuellement intervenir le long de l’Avenue de la Division Leclerc, artère principale bordant au nord la cité-jardin, celles-ci ne lui étaient pas intrinsèquement liées. La visite de la cité me l’a confirmé, car tout y était parfaitement paisible et aucune trace de dégradation n’était constatable.

Ou bien une démarche vertueuse d’amélioration de la qualité de vie des habitants ? On a pu, en effet, relever un inconfort, voire une insalubrité, de logements. Mais est-ce réellement un motif valable pour justifier la démolition majoritairement projetée ? Et est-ce valable quand on procède
à un renouvellement volontaire de population ?

Il faut ainsi, par exemple, savoir que, déjà au milieu des années 1990, une réhabilitation de nombre d’immeubles avait bel et bien été réalisée pour en améliorer ce que l’on appelle aujourd’hui la « performance énergétique ».

Une isolation par l’extérieur et la pose de doubles vitrages avaient notamment été effectuées qui, chose exceptionnelle, n’a pas mené, c’est pour cela que nous ne sommes pas, à la Fédération Patrimoine-Environnement, favorables a priori à ce type d’isolation, à une dégradation architecturale, le peu de modénatures caractérisant le mouvement moderne ayant été restituées.

Mais cette démarche résolument de « rénovation », plutôt que de réhabilitation, trahit bien la poursuite d’autres objectifs auxquels d’ailleurs l’Agence Nationale pour la Rénovation  Urbaine (ANRU) contribue sans état d’âme, aussi bien, dans ce cas, au regard de la qualité patrimoniale
que du concept d’origine, à vocation sociale, de la cité-jardin.

Or, il est tout à fait possible de prioriser la réhabilitation des immeubles existants à leur démolition ou à la densification recherchées.

Autre but inavoué donc, que l’on pourrait imaginer d’ordre politique, celui de la « gentrification » de cette cité sociale ? S’agirait-il d’un choix électoraliste, la population de la Butte Rouge représentant au bas mot un tiers de la population municipale ?

Céder à une telle considération serait contraire à l’objectivité que nous devons garantir en tant qu’association, et nous devons nous en garder, l’important pour nous étant bien, évidemment, la sauvegarde du patrimoine.

Mais parlons précisément de patrimoine.

De quel patrimoine s’agit-il précisément et le ministère de la culture en a-t-il en l’espèce réellement la considération ?

Comme je l’affirmais, la cité-jardin est une œuvre urbaine et on pourrait la qualifier, au titre des dispositifs de protection, passés (et actuels?) d’ensemble urbain à considérer comme tel.

Ici, en l’occurrence, c’est à juste titre que le ministère de la culture a préconisé un classement en « Site Patrimonial Remarquable » (SPR) de la cité-jardin.

La commune a donc emboîté le pas, mais avec un projet de protection « au rabais ».

Cela n’a pas échappé à la Commission Nationale de l’Architecture et du Patrimoine (CNPA) qui, saisie dans le cadre de la procédure de classement en SPR, a certes approuvé à l’unanimité, compte tenu de l’intérêt patrimonial de la cité, un tel classement, mais n’en a pas approuvé le périmètre.

Il s’agit pour moi d’une flagrante instrumentalisation de la politique nationale de protection du patrimoine, puisqu’une telle proposition de protection en SPR, fut-elle au rabais, s’inscrit comme une « cerise sur le gâteau » en servant opportunément d’alibi à l’opération d’urbanisme projetée.

Ne soyons donc pas naïfs, il s’agit là d’un véritable « marché de dupes » dans lequel on peut se demander pourquoi, diantre, le ministère de la culture s’est fourvoyé ! Surtout en connaissance (je présume) de l’opération de rénovation déjà engagée.

Protéger la Butte Rouge certes, mais selon la réserve émise par la commissaire-enquêtrice dans le cadre de l’enquête publique préalable au classement en SPR,

TOUTE LA BUTTE ROUGE !

C’est en cela que l’arrêté ministériel de classement partiel de la cité-jardin en SPR est décevant
et mal venu ; un arrêté qui, de fait, vise bien les avis de la CNPA et de la commissaire-enquêtrice, mais ne justifie aucunement le choix d’une telle protection partielle. Il y a là un défaut patent.

Il y a aussi matière à plaider l’erreur manifeste d’appréciation.

Y a-t-il enfin une réelle volonté de l’État pour mettre en œuvre toutes les possibilités qui lui sont offertes réglementairement ?

Le code du patrimoine dispose en effet qu’un SPR peut être classé, en cas de désaccord de la commune, par décret en Conseil d’État après avis de la CNPA. Ce qui n’a pas été le cas !

Loin de n’être attachés qu’à la conservation des « vieilles pierres » (ce qui n’est, en l’occurrence, pas ici le cas), c’est toute l’âme de cette cité-jardin que nous souhaitons préserver, aussi bien ses aspects urbains, architecturaux, paysagers, que le concept d’urbanisme social qui l’a fondé.

Pour l’heure, il reste à attendre la position du Conseil d’État sur le contentieux que nous avons engagé avec d’autres associations nationales auprès des associations locales.

Dominique Masson
Secrétaire général
Fédération Patrimoine-Environnement