Interview de Benoît de Sagazan au sujet de la flèche de Saint-Denis
Benoît de Sagazan, rédacteur en chef du Monde la Bible (Bayard) animateur du site Patrimoine en blog et membre du bureau de Patrimoine-Environnement répond aux questions d’Élodie Maurot, journaliste à La Croix, au sujet de la reconstruction de la flèche nord de la basilique de Saint-Denis.
La Croix : Quel est votre avis sur le projet de reconstruction de la flèche nord de la basilique de Saint-Denis ?
Benoît de Sagazan : Personnellement, j’y suis favorable. D’abord parce que nous disposons d’une base scientifique. L’état initial de la flèche est extrêmement bien documenté. L’historien de l’art Jean-Michel Leniaud m’a convaincu à ce propos. Il ne s’agira donc pas d’un chantier à la Viollet-le-Duc où l’on interprète le monument. On ne reviendra pas à une vision rêvée de la basilique, mais à la basilique telle qu’elle a vraiment existé. La seconde raison de mon soutien est que j’apprécie, comme à Guédelon, la vision pédagogique qui accompagne ce projet. Nous avons besoin de chantiers innovants qui permettent de mieux comprendre notre patrimoine et de faire vivre la passion des Français à son égard.
Certains défenseurs du patrimoine s’inquiètent d’un chantier qui utilisera des pierres neuves…
B.S. : Je respecte ces confrères qui font beaucoup pour la défense du patrimoine, mais cela ne me dérange pas. Sans doute parce que j’ai une vision moins radicale du patrimoine… La question de la reconstruction est toujours une question sensible, et donc passionnelle. Il suffit de se souvenir des échanges qui ont entouré la reconstruction de la cathédrale de Reims, bombardée en 1914. Beaucoup ne voulaient pas reconstruire mais garder la basilique détruite comme un mausolée des souffrances infligées par l’ennemi. Aujourd’hui, qui se plaindrait de cette reconstruction?
Ce chantier est-il une priorité alors que d’autres monuments souffrent de l’absence de crédits nécessaires à leur sauvegarde ?
B.S. : Pour la flèche, l’idée est de financer ce projet à partir des visites de chantier. On peut donc espérer qu’il soit largement autofinancé. Cela n’enlève rien au fait que les crédits pour le patrimoine sont insuffisants en France. Pourtant, en période de crise, on a besoin de culture. Et s’il est important de défendre la création, il l’est tout autant de soutenir le patrimoine.
Je voudrais néanmoins souligner que l’argument financier est un mauvais argument en matière de patrimoine. Lorsqu’on veut restaurer un monument ou une église, mon expérience est que l’on trouve toujours l’argent pour mener à bien son projet. Tous ceux qui ont voulu sauver un monument y sont arrivés, même les communes les plus pauvres. Cela peut prendre beaucoup de temps, plusieurs décennies, mais les chantiers sont menés jusqu’au bout. Pourquoi ? Parce que le patrimoine est facteur de cohésion sociale et qu’il suscite des solidarités étonnantes. On le voit aujourd’hui pour les églises de village. Quand une église va mal, ceux qui protestent le plus fort sont ceux qui n’y mettent jamais les pieds ! À partir du moment où on restaure, on fédère des personnes. Quand on démolit, au contraire, on divise…
Êtes-vous sensible au fait que ce projet concerne un monument chrétien inscrit dans un territoire très mélangé d’un point de vue culturel et religieux ?
B.S. : Tout à fait. Ce projet est important dans ce contexte-là. Il est d’ailleurs très sympathique que ce soit une mairie communiste qui le soutienne. Bien sûr, on peut considérer qu’il n’est pas essentiel, mais il peut être l’occasion d’une transmission formidable. Ce chantier va permettre de redonner des clés de notre histoire et les clés de la ville à toute une population privée de cette connaissance.
Le patrimoine est un facteur d’intégration incroyable. On voit ce qui se passe quand les gens participent à la restauration d’une église : l’église redevient leur église. Ils ne deviennent pas pratiquants pour autant, mais l’église redevient fréquentée, le bâtiment se réinscrit dans leur histoire, dans leur vie quotidienne. Pour Saint-Denis, il en ira de même. Les visiteurs ne vont pas cesser d’être ce qu’ils sont, par exemple d’être des croyants musulmans, mais la basilique ne leur sera plus étrangère.