La loi Malraux 50 ans après !
« Les nations ne sont plus seulement sensibles aux chefs-d’œuvre, elles le sont devenues à la seule présence de leur passé. Ici est le point décisif : elles ont découvert que l’âme de ce passé n’est pas faite que de chefs-d’œuvre, qu’en architecture un chef-d’œuvre isolé risque d’être un chef-d’œuvre mort ; que si le palais de Versailles, la cathédrale de Chartres appartiennent aux plus nobles songes des hommes, ce palais et cette cathédrale entourés de gratte-ciel n’appartiendraient qu’à l’archéologie ; que si nous laissions détruire ces vieux quais de la Seine semblables à des lithographies romantiques, il semblerait que nous chassions de Paris le génie de Daumier et l’ombre
de Baudelaire. » (André Malraux à l’assemblée nationale, le
23 juillet 1962)
En cette fin de semaine s’ouvre à Bordeaux un important colloque destiné à célébrer les cinquante années de ce qu’il est convenu d’appeler la « loi Malraux ».
Nous nous souvenons qu’il y a dix ans, c’est à Bayonne que furent réunis les tenants de ce dispositif de protection et c’est le signataire de ces lignes qui présida trois jours de travaux (colloque des 27, 28, 29 mars 2003 « Loi Malraux, 40 bougies pour éclairer l’avenir »).
Force est de constater que durant les dix dernières années, malgré les efforts d’Yves Dauge, fidèle président de la commission nationale des secteurs sauvegardés, ce dispositif d’investissements au service du patrimoine aura perdu de son attractivité, assimilé à une niche fiscale comme une autre. Mais, au moment où celui-ci quitte à la fois son mandat de sénateur et la présidence de la commission, les ensemencements réalisés vont produire peut-être leurs premiers fruits, comme un ultime hommage à l’œuvre continue et pugnace de ce serviteur de l’Etat dont le souvenir restera.
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D’abord parce que après avoir quasiment assassiné le dispositif fiscal qui alimentait en fonds privés les opérations de restauration immobilière, le monde politique s’est rendu compte de son erreur et, bien que les débats ne soient pas terminés, il est raisonnablement possible de penser que le gouvernement actuel convaincra les parlementaires de déplafonner la défiscalisation des investissements en secteurs sauvegardés comme l’ont annoncé les ministres Moscovici et Cahuzac.
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Ensuite, le projet de loi « Patrimoine » portée par madame Filippetti pourrait comprendre un chapitre sur ce sujet, ce qui serait logique si l’on veut préserver la campagne et par conséquent redensifier la ville et les villages. C’est vers la méthode utilisée depuis cinquante années par le spécialistes des Plans de Sauvegarde et de Mise en Valeur (PSMV) qu’il faut se tourner : loin des mesures générales aussi dangereuses que stupides prescrivant des pourcentages d’augmentation des hauteurs que nous avons combattu et qui ont été abolies, il faut travailler au coup par coup en épousant le terrain et le paysage, en meublant les friches et les « dents creuses » et en se souvenant qu’il existe deux millions de logements vacants dans les centres villes et que c’est là que l’on trouvera mixité sociale et équilibre urbain.
Fasse le ciel que les travaux de Bordeaux soient suffisamment pédagogiques pour convaincre certains nouveaux ministres que le problème du logement traité à la hussarde et sans réflexion et travail préalable ne conduit qu’à des catastrophes sociologiques lorsqu’elles ne sont pas naturelles. Réjouissons-nous donc de la prise de conscience de la citadelle de Bercy et de l’actuelle équipe du ministère de la culture en espérant que, pas à pas, la « loi Malraux » retrouvera son originelle splendeur et que nous ne transformerons pas notre passé en archéologie !
Alain de la BreteschePrésident des journées juridiques du Patrimoine
Président délégué de Patrimoine Environnement