ÉDITO – TOURISME ET PATRIMOINE : QUI DOIT L’EMPORTER ?
La fin de la période estivale peut être l’occasion de réfléchir à la relation entre tourisme et patrimoine. Le Patrimoine, ce ne sont pas seulement des monuments prestigieux ou une architecture de qualité. Ce sont aussi des paysages rares et précieux et, d’une manière générale, un « esprit des lieux » que l’on s’attache à préserver.
« Sans argent », déclamait le portier Petit Jean dans Les Plaideurs de Racine, « l’honneur n’est qu’une maladie ». Ce n’est certes pas ma devise mais, s’il est vrai que le Patrimoine est une force d’attraction des touristes, l’argent du tourisme est, en symétrie, indispensable à l’économie patrimoniale.
Notre pays, fort de son patrimoine naturel et historique, est la première destination touristique mondiale. En termes de PIB, nous sommes cependant battus par les Espagnols qui sont particulièrement « touristo-dépendants » avec un poids de 13 %, à comparer à nos 7,5%.
Le tourisme, qui est une industrie, peut-il être durable, autant que l’est, par définition, le Patrimoine ?
Jusqu’à un certain degré probablement oui, mais certainement pas au-delà.
Le « surtourisme » érode aussi sûrement le Patrimoine que les hordes d’envahisseurs le détruisaient, aux temps jadis, à la différence près de l’échelle de temps.
Si l’on tenait une comptabilité économique, incluant les coûts environnementaux et les externalités négatives, le bilan d’un tourisme excessif serait à l’évidence déficitaire. L’un des exemples les plus visibles de cette massification, ce sont les grands bateaux de croisière dont des versions « XXL » sont aujourd’hui en construction : jusqu’à 6700 passagers !
Certaines villes touristiques, telle Dubrovnik, ont choisi d’interdire leurs eaux à ces « géants des mers ». D’autres, telle Venise, ont choisi de faire payer les visiteurs d’un jour. Victimes de leur succès, les villes les plus touristiques commencent à mettre en place une régulation des flux, comme on le fait désormais dans les plus grands musées. À Rome, l’accès à la Fontaine de Trévi devrait devenir payant : les pièces des touristes ne tomberont plus dans l’eau !
Certains diront : « C’était mieux avant ! ». Au risque de leur déplaire, une nouvelle fois, je ne me résous pas à ce retour au « Grand Tour » que faisaient quelques heureux privilégiés aux siècles passés, l’origine dit-on du mot tourisme. L’accès du public au patrimoine paysager et historique, dans le respect du droit de propriété bien sûr, est en effet pour moi un droit essentiel, associé à la liberté d’aller et venir mais aussi au droit universel d’accès à la culture.
Une fois de plus, la réponse à ce défi est à trouver du côté de l’équilibre et de l’éducation, de l’auto-régulation et du développement durable.
Pour ce faire, le Patrimoine doit être fort et mieux défendu, car le tourisme exerce souvent une pression économique à laquelle il est difficile de s’opposer. Or, dans ce match, le Patrimoine n’est pas « favori » : ni placé au plus haut de notre édifice juridique, telle que le permettrait une « Charte du Patrimoine » intégrée à la Constitution, ni placé au plus haut des préoccupations des pouvoirs publics, à commencer par le ministère qui en a institutionnellement la responsabilité.
Certes, les ministres, quand vient le temps des Journées du Patrimoine, ne manquent jamais d’exprimer leur attachement à notre cause. Même si les « déclarations d’amour » sont toujours très agréables à entendre, ce que nous attendons surtout, aujourd’hui, ce sont des « preuves d’amour ».
Par exemple, que le tourisme soit au service du patrimoine, et non l’inverse. Et, si un choix est à faire, que ce soit toujours le Patrimoine qui l’emporte !