ÉDITO – POUR PRÉSERVER LA BEAUTÉ DU PATRIMOINE, FAUT-IL UN « BONUS-MALUS » PATRIMONIAL ?

Bourrine du Bois Juquaud, maison typique du marais breton-vendéen en terre et en roseaux © Ville de Saint-Hilaire-de-Riez

En 2024, ce que je crois être l’équivalent espagnol de notre Ordre national des Architectes[1] a décerné un de ses prix à la reconversion en centre culturel, du bâtiment d’une ancienne coopérative agricole.

Comme nous le proclamons souvent, par exemple en l’appliquant au patrimoine religieux rural, une démarche patrimoniale aboutie consiste d’abord à préserver le patrimoine pour éviter qu’il ne meure et ensuite à faire en sorte qu’une fois sauvé, il continue à vivre.

Même si l’herbe n’est pas forcément plus verte ailleurs, les défenseurs des paysages et de l’esthétique du bâti dans notre pays constatent hélas que le patrimoine n’est pas vraiment au centre des politiques publiques d’aménagement urbain ou de déploiement des énergies renouvelables.

L’affirmer n’est pas seulement exprimer un regret esthétique, encore que si l’on en croit le discours de politique générale de notre nouveau Premier Ministre, « la défense du Beau » est un devoir d’État.

C’est aussi, de mon point de vue, dénoncer le cumul d’une faute économique, d’un gâchis budgétaire et d’un contresens environnemental.

Une faute économique ?

La richesse et la beauté de son patrimoine sont l’un des attraits de notre pays, la première destination touristique du monde.

Nous bénéficions à cet égard de l’extraordinaire « rente » que les générations passées nous ont léguée. Une carte « dans notre main » incomparablement plus forte que celle d’un service attentionné ou d’une hospitalité souriante qui ne sont pas toujours chez nous des points d’excellence !

Sans exagérer cependant les vertus patrimoniales du passé, il reste qu’à laisser défigurer les paysages et enlaidir les villes et les campagnes, nous courons le risque de perdre nos atouts.

Un gâchis budgétaire ?

En période de disette budgétaire, l’argent impactant le patrimoine devrait être fléché sur ce qui crée de la valeur dans la durée, et non sur ce qui en détruit.

Comme je l’ai déjà écrit, subventionner l’isolation par l’extérieur de façades de maisons villageoises, avec du polystyrène, n’est pas seulement inesthétique, c’est aussi une condamnation à terme pour le patrimoine qui en est victime. On cherche à faire des économies. En voici !

Un contresens environnemental ?

Le patrimoine, nous le proclamons avec force, est un « modèle » de développement durable. Sinon, aurait-il pu ainsi traverser les temps ?

Au lieu que soit mise en avant sa durabilité, le bâti ancien est au contraire stigmatisé, synonyme de « passoire thermique » et condamné à s’allonger sur le « lit de Procuste » du « DPE », le diagnostic de performance énergétique !

Faisons, pour appuyer cet enjeu un détour par l’économie. Dans la vie économique, il est des effets, positifs ou négatifs, qui ne sont pas retracés dans les calculs de prix ou de coûts, au niveau microéconomique comme au niveau macroéconomique.
On appelle cela des externalités ; par exemple, trop longtemps, l’impact sur la planète, tout comme le bien-être des habitants n’ont pas été pris en compte dans les chiffres. Encore aujourd’hui, le modèle patrimonial souffre de voir ses externalités positives trop méconnues.

Si, au lieu de raisonner à court terme et en coût direct, nous raisonnions en « cycle de vie », en intégrant le coût sur la planète et l’impact territorial, nous établirions qu’un « bon calcul » économique serait de donner des « bons points » à des matériaux traditionnels, issus de filières locales, et de donner des « mauvais points » à des matériaux industriels, au prix bas mais au coût CO² désastreux. De surcroit, tels nombre d’objets de consommation à l’obsolescence programmée, combien de constructions neuves « vieillissent mal », comme chacun peut le constater d’ailleurs !

Cependant, le marché ne connaît par nature que les prix … de marché ! D’où l’idée caressée au sein du « G7 Patrimoine » que les décisions publiques affectant le patrimoine puissent être désormais éclairées par un bilan coût-avantages qui ferait jouer un mécanisme de « bonus-malus » patrimonial.

D’un point de vue économique, la suite logique serait de « solvabiliser » ce qui est bien pour le patrimoine et de « renchérir » au contraire ce qui lui fait du tort ! Le Bien rejoindrait alors le Beau !

Le « génie fiscal » de notre pays étant sans limite, faisons confiance aux administrations compétentes pour imaginer les dispositifs à même de moduler les impôts, les dotations aux collectivités locales ou les subventions, s’il devait bien sûr en rester après la révision annoncée des politiques publiques !

Illustrons le mécanisme par quelques exemples et donnons les « bons points » tout d’abord.
Restauration d’un bâtiment patrimonial conforme aux règles de l’art = bonus
Reconversion d’un élément de l’espace public (gare, usine, bâtiment agricole) pour lui donner une nouvelle vie = bonus
Création d’un espace vert ou d’un square non minéralisé = bonus
Implantation concertée de parcs photovoltaïques avec une bonne insertion paysagère = bonus

N’oublions pas maintenant les « mauvais points ».
Isolation par l’extérieur avec du polystyrène = malus
Destruction par une collectivité d’un bâti ancien qui aurait pu être conservé = malus
Densification à outrance, minéralisation, abattage d’alignements d’arbres non justifié = malus
Destruction paysagère du littoral par l’implantation de parcs éoliens trop près des côtes = malus

Voici quelques pistes. N’hésitez surtout pas à nous adresser les vôtres !

Même avec vos idées, mettre au point le mécanisme de ce « test » patrimonial ne sera pas simple mais, une fois ce défi relevé, il restera à définir qui sera « l’arbitre des élégances » ?

L’État, aurait-on dit autrefois ; force est de constater qu’à la fois trop sensible (aux intérêts du moment) et trop insensible (à l’intérêt des générations futures), il n’est pas le dernier à faire l’inverse de ce qu’il demande de faire aux autres !

Alors, pourquoi pas nous ? Victor Hugo ne disait-il pas que si l’usage d’un patrimoine bâti appartient à son propriétaire, sa beauté – elle – appartient « à tout le monde, à vous, à moi, à nous tous ».

Oui, il serait temps que nous ayons notre mot à dire en tant que « copropriétaires » de la Beauté de notre patrimoine !


[1] Consejo Superior de los Colegios de Arqitectos de Espa?a (CSCAE)