ÉDITO : Patrimoine et politique : l’art de conjuguer les temps !
Le temps du patrimoine est nécessairement un temps long, tandis que celui de la politique est trop souvent un temps court. Lorsque ces deux temps entrent en conflit, le court terme l’emporte le plus souvent sur le long terme. Mais, quand le court terme ne sera plus, ce sera le long terme qui restera.
Quand quelqu’un reçoit un héritage, il peut toujours le refuser. Lorsque les générations futures recevront notre « héritage », elles n’auront hélas pas d’autre choix que de l’accepter « en bloc ».
Prenons un exemple. Quel héritage laisserons-nous, une fois opérée une rénovation énergétique précipitée du bâti ancien non protégé, c’est-à-dire de l’essentiel du patrimoine ancien ?
Telle une mèche allumée, le calendrier légal ne laisse plus beaucoup de temps. Parce que ses règles ont été conçues pour les logements neufs, le diagnostic est aggravé par les matériaux anciens et, de mauvais point en mauvais point, un bâtiment durable devient une « passoire thermique », inlouable.
Tant que cette sanction frappait les cas les moins défendables, cette « erreur d’aiguillage » ne suscitait guère l’émoi. À laisser cependant circuler, sur la mauvaise voie, le train de la rénovation, tout le patrimoine ancien pourrait suivre, incluant même les immeubles haussmanniens. Le comble étant l’isolation par l’extérieur « au polystyrène », encouragée par les subventions publiques, un moyen sûr d’emprisonner l’humidité et de créer des désordres là où il n’y en avait pas !
C’est le temps court !
L’an prochain, notre pays fêtera comme il sied, le cinquantenaire du Conservatoire du littoral (CDL), une création unique en Europe[1]. Par suite d’apports, de donations ou d’acquisitions, cet établissement public, dont la mission s’appuie sur 250 partenaires, principalement des collectivités, protège quelque 720 sites, métropolitains et ultramarins, d’une superficie totale de 165 000 ha.
Soit, concrètement, 13 % du linéaire côtier. L’objectif hautement souhaitable, hélas de moins en moins assuré[2], de la Stratégie 2050 du CDL est de porter à 270 000 ha la superficie protégée.
C’est le temps long !
Face aux difficultés croissantes d’implanter des éoliennes terrestres, la stratégie énergétique est désormais d’imposer en vue de notre littoral 2200 éoliennes en mer d’ici 2035. Il n’y aurait plus aucun temps à perdre et si nous ne décidions pas tout de suite d’implanter à marche forcée les « fermes » éoliennes sur tout le littoral, nous risquerions de subir les foudres extrêmes de Bruxelles !
C’est le temps court !
Certains esprits « caustiques » ne manqueront pas de remarquer que nous ferions mieux de respecter, en priorité, les prescriptions de gestion budgétaire[3] de la monnaie unique et que s’agissant d’énergie, à condition bien sûr d’accepter de prendre en compte le nucléaire, notre électricité est déjà décarbonée à 95 %, contrairement à celle d’autres pays voisins. Et de conclure que, plutôt que de se précipiter à suivre les normes européennes faites en l’espèce, pour d’autres que nous, nous ferions mieux de commencer par développer une filière industrielle nationale.
C’est le temps long !
Dans un avis unanime rendu en juin 2021, hélas non téléchargeable en libre accès, car le ministère ne s‘est toujours pas décidé à le publier, la Commission supérieure des sites, perspectives et paysages avait pourtant fait des recommandations fort pertinentes[4] et conclu par un avertissement solennel.
« La Commission estime que la transition énergétique ne doit pas conduire à porter gravement atteinte au littoral français dont la valeur paysagère, artistique, mémorielle et touristique est au premier plan en Europe, sous peine de remettre en cause plus d’un siècle d’efforts constants de protection du littoral par l’État ».
Tout est dit !
Formons le souhait que l’éolien en mer puisse réconcilier le temps long et le temps court. Sinon, les générations qui nous suivront auront pour horizon un nouveau « mur de l’Atlantique » !
[1] Par une loi du 10 juillet 1975 que nos homologues catalans réclament pour la Costa Brava.
[2] Il faudrait acquérir 5200/ha par an là où le CNL peine à acquérir 3000 ha/an
[3] Le plan de développement de l’éolien en mer pourrait représenter plus de 100 Mds € d’investissements, aménagement des réseaux compris.r
[4] Par exemple, sur la distance minimale des côtes, à respecter.