ÉDITO – MISSION D’INFORMATION DU SÉNAT : « TOUCHE PAS A MON ABF ! »

Sénat, hémicycle et tribune
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Ils ne sont que 189 en France les architectes des bâtiments de France à qui, depuis 1946, est confiée la lourde responsabilité de veiller à la protection des monuments historiques et de leurs abords, sans parler de celle des sites patrimoniaux remarquables[1], de la conservation des monuments historiques de l’État, de la sécurité des cathédrales ou du rapport qu’ils doivent faire sur tous travaux en site classé.

Pour assurer cette mission de défense sur les 8 % du territoire national ainsi protégé, le législateur leur a conféré, « ès-qualités », une arme redoutable : l’avis dit « conforme » qui, s’il est défavorable, interdit tout aménagement ou toute démolition. 

En 2023, les 741 agents des UDAP[2], dernier acronyme des services qui accueillent les ABF, ont traité quelque 489 000 dossiers. Quand d’aucuns appellent à une plus forte productivité des fonctionnaires, ils devraient trouver dans cette fonction[3] « exemplaire » un encouragement à leurs souhaits !

Pour reprendre les mots de Jean-François Hébert[4], directeur général des Patrimoines et de l’Architecture, lors de son audition par la Mission d’information du Sénat le 28 mars 2024, cette « toute puissance » est évidemment « parfois dérangeante ».

Pour les pétitionnaires qui n’ont pas satisfaction à leurs demandes, pour les élus dont les projets d’aménagement sont contrariés, pour les promoteurs immobiliers, ou éoliens, qui voient un obstacle à leurs activités et même pour l’État qui a du mal à accepter que ceux qu’il a adoubés comme « Chevaliers du patrimoine », osent s’opposer à ses propres projets « politiques » !

En conséquence, à l’instar des fonctionnaires des impôts, les ABF ne sont donc pas aimés … sauf, bien évidemment, pour les ABF, par les associations de défense du patrimoine !

C’est ce que nous, les dirigeants des associations du « G7 Patrimoine », avons unanimement déclaré, exemples à l’appui, lors de notre audition, le 21 Mai 2024, par la Mission d’information du Sénat sur les Architectes des Bâtiments de France.

Nous avons tous déploré les atteintes portées à leur mission[5] et tous demandé que les avis « conformes » actuels ne soient pas à nouveau « rognés » pour devenir « simples », auquel cas ils perdraient toute portée. Nous avons, de même, tous regretté que l’amendement à la loi AER[6], que le « G7 Patrimoine » avait porté, n’ait pas prospéré jusqu’au bout : il aurait donné aux ABF un « droit de regard » sur l’implantation d’éoliennes dans un rayon de 10 km autour d’un monument historique. 

Nous avons enfin tous appelé au renforcement de leurs moyens et recommandé le partage de la « charge » de défendre notre patrimoine : les ABF ne doivent pas être laissés « seuls contre tous ». 

Chaque jour, vous, adhérents de notre fédération, avez ce rôle essentiel de défense du patrimoine à jouer sur le terrain. C’est parce que votre fédération sait avec quelle conviction et avec quelle énergie vous le faites que nous avons tous demandé au législateur de « mieux associer les associations » !

Notre « amour » des ABF n’est cependant pas aveugle. Nous avons aussi notre petit lot de reproches.

Parfois, nous trouvons les ABF un peu trop « prudents » lorsqu’il s’agit de définir le périmètre des SPR ou de s’opposer à des atteintes que nous jugeons graves.

Nous regrettons aussi que leur charge de travail ne leur laisse pas toujours le temps de se rendre sur le terrain, et surtout d’empêcher qu’un « crime patrimonial » puisse se commettre ou rester impuni[7].

Cependant, au total, si les ABF n’existaient pas, il faudrait certainement les inventer et nous le disons tout net au législateur comme au pouvoir réglementaire : « Touche pas à mon ABF ! ».


[1] Ex-secteurs sauvegardés, ZPPAUP (Zone de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et Paysager) et AVAP (Aire de mise en Valeur de l’Architecture et du Patrimoine).

[2] Unités départementales de l’architecture et du patrimoine

[3] Les ABF ne constituent pas un corps, ils occupent une fonction. Depuis 1993, ils relèvent du corps des architectes- urbanistes de l’État (AUE).

[4] Lors de son audition par la Mission d’information du Sénat le 28 Mars 2024.

[5] Par la loi Elan notamment contre certaines dispositions de laquelle notre ancien président,  le Bâtonnier Alain de La Bretesche, s’était tant mobilisé.

[6] Loi du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production des énergies renouvelables

[7] Parce que le suivi des prescriptions, faute de temps, n’est guère assuré ou parce que des régularisations interviennent un peu trop souvent à notre goût ce que nous ne considérons comme « pas juste » vis-à-vis de ceux qui « jouent le jeu » spontanément.