ÉDITO – Messieurs les simplificateurs : merci de penser aussi aux bénévoles des associations !
Chaque fois que les pouvoirs publics annoncent un « choc » de simplifications administratives, au mieux il ne se passe pas grand-chose car les procédures supprimées gênaient surtout l’administration et au pire, malheureusement, c’est l’inverse qui se produit.
En privilégiant la dématérialisation, l’administration, dont les effectifs opérationnels fondent au fil des départs à la retraite, tend en pratique à « se défausser » sur les entreprises et sur les particuliers de tâches opérationnelles dont elle a pourtant la mission, en contrepartie des prélèvements publics.
Avec les plates-formes numériques, les contacts humains disparaissent : on discute avec un ordinateur et malheur à celui qui ne coche pas la bonne case ou n’a pas le bon format de document !
Les associations n’échappent pas à cette évolution ! Et quand les associations s’épuisent dans des tâches administratives, elles ne font plus ce qui justifie leur existence.
Le droit de libre association, consacré par la loi de 1901, constitue pourtant un élément essentiel de nos libertés fondamentales, et l’énergie collective qu’il permet de fédérer a contribué – et contribue encore – à très de nombreux progrès collectifs. Les associations du patrimoine en savent quelque chose, à commencer par la plus ancienne d’entre elles – la SPPF – née en 1901, à l’action de laquelle nous devons la loi de 1906 sur la protection des sites et des monuments naturels.
Les quelque 1,5 millions d’associations actives en France sont le terreau de ce qu’il est d’usage d’appeler la « société civile organisée ». Dans ce cadre, 13 millions de bénévoles[1] offrent leur temps (et bien souvent aussi leur argent) pour faire avancer, par l’union de leurs seules bonnes volontés, des « bonnes » causes et des préoccupations collectives auxquelles ils tiennent.
Selon les évaluations officielles, ce « don de soi » équivaudrait à 500 000 emplois à temps plein.
Mais ce modèle d’engagement est aujourd’hui menacé.
Comme le clergé, le monde associatif connaît aussi une crise des vocations ! Les administrateurs vieillissent tandis que les recrutements se font plus rares. Dans notre monde 2.0, les formes d’engagement collectif ont changé : elles sont plus ponctuelles, plus ciblées, plus distancielles, plus « virales » et parfois très conflictuelles comme on le voit sur certains sujets touchant à l’écologie.
Dans ce contexte et sauf à bénéficier du support d’une grande structure aux financements récurrents[2], les responsables associatifs sont de plus en plus « corvéables à merci ». L’administratif absorbe de plus en plus de leur temps au détriment de la réflexion et surtout de l’action.
Combien de formulaires, combien de normes, combien de déclarations, combien de dossiers dématérialisés, ces responsables bénévoles doivent-ils aujourd’hui affronter alors que, face au désengagement des budgets publics, la quête de nouvelles ressources est pour eux une priorité ,et celle de successeurs un défi crucial.
Tous les ans, les associations, même les plus petites, ont à remplir une déclaration fiscale 2070 (Impôt sur les sociétés collectivités publiques ou privées agissant sans but lucratif) sur papier pour confirmer leur « pauvreté » au fisc : pas de recettes soumises à l’IS à déclarer, ce qui parait plutôt normal pour des associations sans but lucratif. Les associations agréées doivent aussi déposer leurs comptes. Celles qui émettent des reçus fiscaux doivent déclarer la somme de ces reçus, en attendant qu’on leur demande un jour tous les détails sur leurs donateurs. À ce compte, beaucoup préfèrent n’émettre aucun reçu par crainte des complications. Le réflexe serait alors de demander un rescrit fiscal mais c’est un pari très incertain : le « malthusianisme fiscal » est en effet la règle[3].
Chaque procédure administrative vit sa vie propre, sans « capitaliser » sur les précédentes. La « mémoire » des associations, tout comme leurs archives – même pour les plus grandes – est celle d’organisations de bénévoles. Et l’administration, en se digitalisant, s’est aussi déshumanisée : les agents qui avaient la « mémoire » des dossiers et des procédures partent avec leur savoir-faire.
Les associations sont désormais seules, et la plupart du temps aussi riches en bonnes volontés qu’elles sont pauvres en moyens matériels !
Les subventions publiques sont de plus en plus ciblées, parfois même « militantes » dans certaines collectivités locales. Trouver de généreux donateurs privés n’est pas non plus évident. Face aux « charmes » dont disposent les institutions culturelles (orchestres, théâtres, musées[4]), quelle « contrepartie » irrésistible – sinon la satisfaction du devoir accompli – une association de défense des paysages ou des patrimoines non protégés peut-elle par exemple proposer ?
Mais cette difficulté est surmontable. Notre fédération nationale en sait quelque chose : la vitalité des quelque 230 associations qu’elle unit parvient à décupler des moyens toujours trop comptés. Toutes vivent par le dévouement quotidien de leurs bénévoles !
Même si son fonctionnement est peu dispendieux, le monde associatif doit certes s’attacher à repenser son modèle d’organisation, en continuant à se digitaliser, en se fédérant[5], en mutualisant des supports, en partageant des sièges sociaux[6] ou des moyens humains.
Mais, il serait équitable que l’administration fasse encore mieux « sa part du chemin », en évitant d’en « rajouter » et en se mettant véritablement à la place d’un secteur dont elle entend simplifier la vie.
Certes, les associations – celles du patrimoine, par exemple – peuvent déranger les « plans » des administrations, ralentir ou empêcher des projets éoliens, bloquer des démolitions de bâtiments anciens, contrarier des promoteurs immobiliers, focaliser l’attention là où d’aucuns préfèreraient qu’on regarde ailleurs, en un mot jouer le rôle du « sparadrap » du Capitaine Haddock.
Mais, si elles n’étaient pas là, si elles n’étaient pas aussi « cash » dans leur discours, si elles n’étaient pas autant vigilantes, si elles ne faisaient pas remonter des problèmes, en même temps d’ailleurs que des solutions, si elles n’assuraient pas des missions désintéressées, souvent à la place des collectivités publiques, la démocratie qui est la nôtre serait-elle aussi vivante et aussi humaine ? Le « chacun pour soi » ne serait-il pas la règle tandis que les réactions citoyennes qui s’exprimeraient ne prendraient-elles pas le chemin du « sans filtre » et du « sans retenue » ?
Alors oui, il faut que l’on
préserve la force de cet extraordinaire engagement citoyen, canalisée autour
d’un but d’intérêt collectif qui participe, largement et très activement, à
l’intérêt général ! Messieurs les simplificateurs, merci de penser aussi
aux bénévoles des associations !
[1] Source : INJEP Les chiffres clé de la vie associative 2023
[2] Par exemple, les fondations traditionnelles dont les moyens sont issus du produit de leur dotation initiale.
[3] Le refus advient très fréquemment alors que c’est un droit pour toute association dont l’activité est non lucrative, la gestion désintéressée et le cercle de bénéficiaires étendu et qui présente, dans ses statuts, un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique, la défense de l’environnement naturel.
[4] L’administration fiscale admet des contreparties à hauteur de 25 % des dons. Encore faut-il en avoir à offrir !
[5] Nous offrons à nos associations un conseil juridique et un accompagnement contentieux qu’elles ne pourraient avoir pour la plupart d’entre elles.
[6] Patrimoine-Environnement est la « coloc » des Maisons paysannes de France.