Edito – Les assises européennes du patrimoine culturel
Les assises européennes du patrimoine culturel se sont déroulées à Paris du 27 au 31 octobre. Europa Nostra, la puissance invitante, avait organisé au collège des Bernardins un colloque dont le thème était : « Le Patrimoine Culturel au cœur de la relance du projet européen ».
J’ai particulièrement apprécié que le directeur de l’Institut Jacques Delors, Sébastien Maillard, rappelle la célèbre phrase du fondateur de son institut, qui fut un grand président de la commission européenne : « On ne tombe pas amoureux d’un marché intérieur ! ». Cette formule lapidaire résume bien le désamour des citoyens de l’Europe des vingt-sept à l’égard d’une institution à laquelle leurs esprits et leurs âmes ne voient aucun motif d’enthousiasme.
Beaucoup d’orateurs ont alors évoqué les pères fondateurs qui avaient bien autre chose en tête après la dernière guerre mondiale que la taille des bananes, argument rituel des discours europhobes de Boris Johnson, ou l’usine à gaz tatillonne du droit de la concurrence qui est devenu le ciment du grand marché.
Dans son exposé introductif de l’une des tables rondes, Antoine Arjakovsky, directeur du pôle de recherche sur l’Europe du collège des Bernardins, a ramené les participants aux origines de leur culture commune, au premier rang desquelles celle forgée par les cisterciens. Il m’était impossible en l’écoutant de ne pas revivre ma présence en ces lieux lors de la venue aux Bernardins du pape Benoit XVI en 2012 et son discours sur les origines de la culture européenne. Le pape émérite avait alors, d’une manière prémonitoire, situé les débuts de cette aventure commune au temps de « la grande fracture culturelle provoquée par la migration des peuples »…
La veille au soir avait eu lieu une grandiose cérémonie, au Théâtre du Châtelet, au cours de laquelle avaient défilé sur l’écran les photos traumatisantes de l’incendie de Notre-Dame de Paris tandis que nous entendions le chœur de la cathédrale interpréter le Cantique de Jean Racine de Gabriel Fauré.
Ces souvenirs, ces réalités partagées, comme cela fut rappelé, par l’Europe et le monde, intrinsèquement mêlées ne faisaient que souligner le grand vide culturel de l’Europe des vingt-sept et l’absolue nécessité de le combler. Car ce vide des institutions ne signifie pas le vide des consciences européennes individuelles capables de se projeter dans des modes de vie communs, une organisation du temps séquencée de la même manière à partir des fêtes d’un même calendrier, la création assez semblable d’un mode de vie urbain, et bien sûr un patrimoine que l’on peut retrouver facilement dans chaque territoire. Les fortifications de Vauban et de ses imitateurs, les copies du château de Versailles d’Herrenchiemsee à Schônbrunn, les églises romanes puis gothiques que l’on retrouve partout…
Mme Ursula Von der Leyen aurait, nous a-t-on dit, décidé de ne pas nommer de commissaire à la Culture mais seulement de confier un département « de la protection de notre mode de vie européen » plus connue en anglais sous le vocable « european way of live » au grec Margaritis Schinas . De sorte que le sortant, le hongrois Tibor Navracsics, n’était venu à Paris que pour serrer des mains une dernière fois. De nombreuses voix se sont élevées durant les trois jours des assises pour demander que l’on rectifie cette « erreur ».
On sait que cette « protection » du mode de vie a fait jaser et il a fallut que la présidente de la commission précise qu’elle entendait donner au nouveau commissaire grec la mission de mettre en œuvre l’article 2 du traité de Lisbonne aux termes duquel : « L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’Homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes. »
Tout cela est bel et bon mais, même avec une lecture attentive, on ne trouve pas dans ce texte le mot « culture ».
On eut pu espérer plutôt une référence au préambule du traité de Lisbonne qui déclare que les états signataires : « s’inspirent des héritages culturels, religieux et humanistes de l’Europe, à partir desquels se sont développées les valeurs universelles que constituent les droits inviolables et inaliénables de la personne humaine… »
Mais ne restons pas sur cette image négative : la commission sortante a manifestement fait avancer un peu la prise en compte du patrimoine culturel grâce à l’année européenne du patrimoine et grâce à la mise en jeux de plusieurs des institutions européennes à son service.
Disons-le, Europa Nostra, qui est la plus importante représentation du patrimoine dans l’Union européenne, est aujourd’hui un organisme solide. Si je me réfère à la situation d’il y a quelques années, lorsque j’étais l’un des administrateurs, je constate que les relations entre l’exécutif d’Europa Nostra et les institutions, qu’il s’agisse de la commission, du Parlement, de la Banque Européenne d’Investissement ou du Conseil économique et social européen sont beaucoup plus constructives et utiles. Ces différentes institutions étaient d’ailleurs toutes représentées à un haut niveau cette semaine à Paris.
Reste à se désoler de la faible représentation française dans cette galaxie, aussi bien chez les responsables que chez les bénéficiaires de prix, ou les candidatures à ceux-ci. En dehors de notre ami Etienne Poncelet, membre du comité scientifique de notre revue, nous n’avons vu sur la scène du Chatelet que Bertrand de Feydeau vice-président d’Europa Nostra, qui m’a confié se sentir bien seul !
Alain de la Bretesche,
Président de Patrimoine Environnement