ÉDITO – IL FAUT CULTIVER SON JARDIN !

Jardin du Luxembourg in November 2019
© Jami430 via Wikimedia Commons
Lors de la dernière édition du Salon international du patrimoine culturel, au Carrousel du Louvre, les présidents des associations du « G7 » Patrimoine ont eu répondre à cette même question : « Comment vous est venu l’amour du patrimoine ? ».
« D’un enracinement ancestral en Bretagne », répondit en premier le président de la Sauvegarde de l’Art français. La présidente girondine de Rempart dit quant à elle avoir vu naître cette même passion pour avoir grandi près des ruines du Château de Villandraut, le fief du futur Pape Clément[1].
Si l’amour du patrimoine peut naître à tout âge, il est clair que l’éducation patrimoniale, celle qui est transmise ou qui est forgée lors de son enfance, marque et inspire toute une vie.
L’amour des grands parcs et des espaces boisés urbains, dont je défends la cause avec tant de passion, je le tiens de la proximité que ma maison natale avait avec le Jardin public de Bordeaux.
Ancien jardin royal « à la française », aménagé en 1746, à la demande de l’intendant Tourny, sur les plans de Jacques-Ange Gabriel, ce parc de 10 ha connut de nombreuses vicissitudes avant d’être réaménagé en un jardin « à l’anglaise », à partir de 1850.
Je me souviens, dans ma jeunesse, avoir navigué sur le « Petit Mousse », le bateau public qui, pendant plus d’un siècle[2], parcourut la petite rivière artificielle qui serpente toujours au centre du parc. Pas étonnant que j’ai autant de bonheur à parcourir, dès les premiers beaux jours, la promenade des lacs du Bois de Boulogne ! Sans parler du petit bateau qui fait la navette avec le Chalet des Îles.
Les jardins publics sont les jardins de tous, à commencer par tous ceux qui n’ont pas de jardin, ce qui en ville est chose courante.
Beaucoup ont été aménagés ou réaménagés sous le Second empire, en s’inspirant d’un modèle « londonien » que celui qui n’était pas encore un monarque mais un prince exilé, avait connu. A l’actif de ce régime, aussi mal né qu’il a mal fini, je retiens sans nulle hésitation l’œuvre paysagère des « jardins haussmanniens » qui sont à la vérité ceux d’Adolphe Alphand[3].
L’Art du Jardin, qu’il soit public ou privé, historique ou utilitaire, est autant une science « naturelle » qu’ une passion « culturelle ».
Ne confondons pas cet Art millénaire avec ces « alibis » qui portent, trop souvent, la signature de la médiocrité : les façades végétalisées, les arbres esseulés ou les petits enclos autour des arbres d’alignement que des municipalités mettent en avant dans leur communication, dans le même temps qu’elles délivrent des permis de construire pour détruire, ou pour réduire, telle une peau de chagrin, les derniers espaces de jardins privés.
Au lieu d’améliorer le cadre de vie des Parisiens, dans une capitale pauvre en espaces verts, les jardins de l’ancien hôpital La Rochefoucauld, à Paris, devraient ainsi être voués aux promoteurs !
Les associations de défense du site, soutenues par les conseils de quartier ainsi que par les grandes associations du patrimoine et de l’environnement, dont notre Fédération, sont mobilisées.
Nous menons combat pour que soit aménagé, pour le bien de tous, un jardin public de 2 ha et pour que soit abandonné tout projet anti-environnemental qui sacrifierait les jardins à cette « exécrable faim de l’or »[4] que stigmatisait déjà Virgile !
Je vous invite à soutenir cette action [LIEN] !
Cultiver des jardins privés ou défendre leur existence, soutenir la cause des jardins publics ou promouvoir leur modèle, n’est pas un repli sur soi égoïste ou la nostalgie passéiste d’un temps révolu.
C’est un acte patrimonial par excellence, car c’est aimer la beauté pour la partager et pour la transmettre. Et c’est affirmer le droit imprescriptible des générations futures de vivre dans un « paradis » qui ne serait pas perdu !
N’en déplaise à Victor Hugo, ce n’est pas la « faute à
Voltaire ». L’auteur de Candide avait bien raison : il faut cultiver
son jardin !
[1] Bertrand de Goth (1264-1314), pape de 1305 à 1314, sous le nom de Clément V.
[2] De 1884 à 2007. Un « Va Petit Mousse » tout neuf vogue à nouveau sur la rivière du Jardin, depuis juillet 2021.
[3] On peut se reporter au bel ouvrage « Les jardins parisiens d’Alphand » (2018), dont une de nos éminentes membres à co-dirigé la rédaction.
[4] « Auri sacra fames » (L’Enéide, Livre III)