ÉDITO – Et si le salut de la « France moche » venait paradoxalement du « ZAN » ?
Sous la pression de la révolution industrielle et de l’accroissement de la population urbaine, l’Europe a connu au XIX° siècle un mouvement général de restructuration et d’extension ordonnée des villes.
À Paris, les travaux haussmanniens ont façonné la ville que nous connaissons. À Barcelone, le plan Cerdá a ouvert l’extension de la ville avec « l’Eixample » au tracé millimétré. À chaque fois, l’extension urbaine a été pensée, planifiée, ordonnée, sinon « fabriquée », par la puissance publique.
La seconde partie du XX° siècle verra se développer, dans notre pays comme ailleurs, le « grignotage » des surfaces agricoles au bénéfice de l’extension des villes mais sans y retrouver le même souci de planification urbaine, à l’exception peut-être de la politique publique des « villes nouvelles ».
L’ancêtre de notre Fédération nationale : la Ligue urbaine et rurale naquit en 1928 d’une volonté d’architectes, d’urbanistes et d’intellectuels d’ordonner l’expansion des villes et de lutter contre la laideur urbaine. Il est vrai qu’à cette époque les documents d’urbanisme s’appelaient « plans d’aménagement, d’embellissement et d’extension des villes » !
Hélas, la suite ne fut pas à la hauteur de ces « nobles » ambitions !
Le plus grand nombre s ’accorde à dire aujourd’hui que les stigmates les plus visibles de la « France moche » sont les « entrées de villes »[1], avec leurs zones commerciales aux bâtiments qui tiennent plus du hangar que du geste architectural, avec leurs parkings de voitures à perte de vue, leurs restaurants d’enseignes, leurs panneaux publicitaires qui rivalisent de laideur, et une spécialisation fonctionnelle qui prive ces zones d’activité de la possibilité d’être de vrais « quartiers de vie ».
Dictée par le noble souci de préserver la nature du « mitage » urbain et de contribuer au réglage climatique, la règle du « zéro artificialisation nette » est certes critiquable à bien des égards : tombant « d’en haut » et uniforme, elle n’a guère de sens pour les villes moyennes et petites et les bourgs. Mais, paradoxalement, elle pourrait conduire à regarder de plus près le « potentiel » que représente la « France moche ». Alors que la densification des villes doit nécessairement rencontrer des limites, esthétiques et humaines, la situation est différente pour les « réserves » que sont les zones commerciales, des lieux « fréquentés » mais non « habités », des espaces dont la disparition des bâtiments ne heurtera aucune sensibilité tandis que l’organisation de mobilités décarbonées réjouira les défenseurs de l’environnement.
Ne méconnaissons pas cependant leur rôle « fonctionnel » au bénéfice des habitants, notamment ceux des campagnes qui sont trop souvent privés de commerces de proximité et de services.
Il n’y a donc pas de temps à perdre pour engager cette démarche stratégique avec les populations, pas de temps à perdre pour sécuriser les réserves foncières[2], pas de temps à perdre pour concevoir un urbanisme périphérique du futur dont l’esthétisme pourrait, d’un côté, marquer une transition « harmonieuse » vers des centres historiques revitalisés et, de l’autre, une ouverture « végétalisée » vers un monde rural dont les habitants continueraient à y trouver les services qui leur manquent.
« Réparer »
les erreurs du passé dans les « entrées de villes » est bien mais
« préparer » le paysage urbain de demain ne serait-il pas plus digne
encore de l’ambition de nos fondateurs ?
Christophe Blanchard-Dignac
Président de la Fédération Patrimoine-Environnement
[1] D’où le concours national pour la reconquête des entrées de villes, initié par la LUR, que Patrimoine-Environnement organise conjointement avec Sites et Cités remarquables de France.
[2] Ne serait-ce que parce qu’elles sont privées mais aussi parce que la loi relative à l’accélération de la production des énergies renouvelables « conforte » en quelque sorte les vastes parkings de ces zones en imposant un équipement en panneaux photo voltaïques.