Edito – Cet été, je découvre, j’aime et sauve le patrimoine
Le tourisme sera très majoritairement franco-français cet été, nous répète-t-on. Et nous devrions nous en réjouir car ce réinvestissement de nos compatriotes en temps et en argent dans nos territoires devrait également profiter au patrimoine de notre pays. Les incitations en ce sens ne manquent pas notamment avec la campagne de communication « #CetétéjevisitelaFrance ». Tant mieux. Nous sommes les premiers, chez Patrimoine-Environnement, à souhaiter que ce réinvestissement rime avec appropriation. Nous connaissons tous l’adage : on sauve ce qu’on aime, on aime ce qu’on connait. Puisse cet été nous offrir collectivement le temps de la connaissance, de l’émerveillement et de l’amour de notre patrimoine commun, riche de sites emblématiques et ô combien prestigieux mais aussi composé de villages, d’églises, de sentiers et de paysages, de chemins forestiers, de moulins, de fontaines, de musées d’agriculture et d’écomusées, d’ateliers d’artisans et de belles demeures privées…
Le tourisme au service du patrimoine ?
Durant le confinement, l’un des nôtres, Claude Birenbaum, notre trésorier, pour le citer, a lancé un débat interne sur les liens que devraient nourrir tourisme et patrimoine. De multiples avis, parfois opposés, de nos administrateurs et de nos délégués régionaux ont nourri nos échanges. Certains plaident pour que les grandes questions patrimoniales soient traitées sous l’égide du secrétariat d’État au tourisme, au nom de l’efficacité, et non plus sous celle du ministère de la Culture, jugé inopérant pour faire avancer la cause de l’entretien du patrimoine et de sa valorisation face aux menaces multiples qui pèsent sur son avenir. Il est vrai que sur le terrain les exemples ne manquent pas d’initiatives où, prise au sérieux, la santé de notre patrimoine sert les intérêts touristiques et réciproquement.
D’autres parmi nous refusent ce changement de tutelle au motif que le tourisme ne saurait sauver seul notre patrimoine, notamment dans les régions situées à l’écart des grands flux de visites, ou trop éloignées d’un site emblématique attractif. Les plus pauvres et les oubliés continueraient de souffrir, quand les mieux lotis et les plus renommés prospéreraient. Le nombre de visites ne saurait constituer la seule jauge de l’intérêt patrimonial d’un bâtiment. L’avenir du patrimoine, selon eux nécessite des arbitrages équitables que seul le ministère de la Culture serait à même d’exercer.
Pour une délégation interministérielle
Mais pourquoi opposer quand on pourrait innover ? La voie de la sagesse nous inviterait à conjuguer l’efficacité et l’équité. C’est pourquoi, il est sans doute temps pour les acteurs du patrimoine de reprendre et promouvoir une grande idée exprimée par onze des plus grandes associations du patrimoine, dont la nôtre, dans la Lettre ouverte aux Français et à leurs Élus sur le Patrimoine (Editions Michel de Maule, 2016). Cette idée est résumée dans la proposition N° 4 (sur 22) : « Créer une délégation interministérielle aux patrimoines et aux sites ». Cette préconisation vise à « rendre pleinement effective la politique du patrimoine et la mise en valeur de ses enjeux sociaux, économiques, touristiques et historiques » par le renforcement du rôle régalien de l’État et la mise en cohérence de sa gouvernance. Pour cela, cette délégation interministérielle, placée directement auprès du Premier ministre – à l’instar de la délégation pour la sécurité routière – aurait non seulement le pouvoir de mettre fin aux concurrences entre les administrations et ministères (Culture, Écologie, Agriculture, Villes et Tourisme) qui gênent toute action, mais rendrait opérante les politiques dont la sauvegarde et la valorisation de notre patrimoine ont besoin tout en mesurant ses interactions avec les autres dimensions sociales, économiques, territoriales, écologiques…
Serait-ce un vœu pieux ? Un de plus ? Si j’ai bien écouté le président de la République, dimanche 14 juin, il semblerait bien que l’époque soit propice à de telles réorganisations politiques et administratives afin de reconstruire efficacement notre pays. Car qui peut contester que le patrimoine commun, entretenu et valorisé participe activement à l’activité économique et à l’attractivité touristique de notre pays ? Le patrimoine n’est pas un boulet, il est un levier puissant.
Le récent rapport du Sénat, publié le 4 juin, sur la valorisation du patrimoine de proximité, en démontre toute l’importance.
Benoît de Sagazan,
Vice-Président de Patrimoine-Environnement