EDITO – Du danger de s’éloigner de l’arbre près duquel on vivait heureux…
« Oh quel farouche bruit font dans le crépuscule, les chênes qu’on abat pour le bûcher d’Hercule ». Ainsi parlait Victor Hugo et avant lui, Pierre de Ronsard qui avait pleuré sur le sort de la forêt de Gastine promise à la hache des bûcherons.
Toucher à un arbre en France peut s’avérer dangereux, car il y a presque toujours un émule de Georges Brassens qui peut faire de ce sacrilège une chanson populaire. Nous même, aussi attachés au patrimoine qu’à l’environnement, nous trouvons parfois dans des situations kafkaïennes.
Ainsi, après avoir soutenu vigoureusement, les tenants de la reconstruction à l’identique de la flèche de Notre-Dame de Paris et, partant, s’être clairement rangés dans le camp de ceux qui ont obtenu que la « Forêt » (la charpente) soit reconstituée en chêne grâce aux apports généreux des professionnels de la filière bois nous nous trouvons face à un groupe d’écologistes radicaux qui ont lancé une pétition – laquelle a recueilli, tout de même, 41000 signatures – protestant contre le choix de 1000 chênes à couper, dont une partie sera prélevée sur une parcelle de la forêt de Bercé dans la Sarthe, plantée au XVIIème siècle sur les instances de Colbert, non pas pour créer un espace vert ou un domaine de chasse, mais pour fournir des mâts de qualité aux vaisseaux du Roi.
Les spécialistes de la profession ont beau expliquer à ces ayatollahs que les coupes dites de « gestion » sont naturelles dans une forêt bien entretenue, fût-elle âgée de 200 ans, et ne représentent que 0,1% de la récolte de l’année, on n’a pas fini de polémiquer dans les hauteurs où vivait Quasimodo !
C’est l’occasion pour nous de préciser que l’association « Patrimoine Environnement Loir -Lucé-Bercé » à l’origine de cette pétition n’a rien à voir avec notre Fédération !
Cependant il est, à propos des arbres, des débats récurrents qui touchent depuis longtemps aux paysages et qui retiennent aujourd’hui notre attention : les contemporains de ma génération se souviennent que, le 7 juillet 1970, le président George Pompidou qui n’était pourtant pas réputé pour être un ennemi de l’automobile avait écrit à son Premier ministre Jacques Chaban-Delmas pour lui faire savoir qu’il n’avait pas du tout apprécié d’avoir reçu, par hasard, une circulaire du ministre de l’Equipement diffusée par la direction de la circulation routière de laquelle il ressortait : « que l’abattage des arbres le long des routes deviendrait systématique sous prétexte de sécurité ». Le président rappelait avoir plusieurs fois « exprimé en Conseil des ministres, sa volonté de sauvegarder les arbres partout ». Et il demandait à son Premier ministre « de faire rapporter la circulaire des Ponts et Chaussées et de donner au ministre de l’Equipement des instructions pour que, sous divers prétextes …on ne poursuive pas dans la pratique ce qui n’aurait été abandonné que dans le principe… ».
Des années plus tard, constatant que la même administration poursuivait à bas bruit la même politique, un groupe de défenseurs des arbres et des paysages dont le leader était Madame Chantal Pradines, experte auprès du Conseil de l’Europe, groupe que nous avons appuyé, obtient du Parlement par voie d’amendement dans la loi dite « Biodiversité » du 8 août 2016, l’introduction dans le code du Patrimoine d’un article L350-3 consacrant les allées d’arbre le long des voies de communication comme « un patrimoine culturel et une source d’aménité » qui devaient faire l’objet d’une « protection spécifique ».
Même si l’on peut s’étonner de l’introduction par le législateur, dans une norme juridique, d’un vocabulaire employant des mots tels que « aménité » qu’il serait plus facile à un poète qu’à un juge d’interpréter, cette disposition qui constitue un progrès certain. Malheureusement, l’article ayant été adopté contre le ministère de la Transition écologique et malgré tous nos efforts, le décret d’application n’est toujours pas promulgué cinq années après et la volonté d’en empêcher la pérennité s’était déjà manifestée à notre tribune au cours des Journées Juridiques du Patrimoine, en octobre 2017, dans un dialogue de sourd avec le représentant du ministère monsieur Gilles de Beaulieu.
Cette opiniâtreté de la fonction publique d’État est sur le point de se manifester à nouveau à l’occasion de l’examen en avril prochain en Conseil des ministres, puis au Parlement, du projet de loi 4D (Différenciation, décentralisation, déconcentration, complexification). Ce projet sera soutenu non par Madame Pompili, mais par Madame Gourault, ministre de la Cohésion des Territoires épaulée par la même administration. Ce projet est actuellement scruté par le Conseil d’État.
Son article 48 réécrit le texte précédent : ainsi il est proposé de remplacer le terme : “voies de communication” par celui de “voies ouvertes à la circulation du public”. Ce qui exclut les voies privées.
Ainsi encore les dérogations à la sauvegarde et à la protection des allées et alignements seraient conférées au préfet, sous la forme d’une autorisation spéciale motivée avec une compétence élargie.
Il est enfin proposé que l’autorisation spéciale comprendrait l’exposé de mesures de compensation à la charge du pétitionnaire. Il appartiendrait au préfet d’en apprécier le caractère suffisant.
On sait dans les domaines voisins de l’aménagement du territoire et de l’environnement la piètre qualité de ces compensations souvent très formelles.
Décidément nous vivons dans une République qui parle beaucoup de ses valeurs, mais qui n’a de cesse de les détricoter. Pour ce qui est de la « décomplexification de l’aménité », laquelle, selon les meilleurs dictionnaires, signifie : “qualité de ce qui est agréable à voir ou à sentir”, le signataire de ces lignes ne la sent pas bien.
Alain de la Bretesehe,
Président de la fédération Patrimoine-Environnement