Destruction du patrimoine par les pelleteuses et la fiscalité – Edito Noël Mouré
Alors qu’une chartreuse des environs de Bordeaux vient d’être réduite en poussières par « erreur », cette même erreur prospère dans l’idée de surtaxer les résidences secondaires appuyant l’éviction des investisseurs amoureux des vieilles pierres.
Deux nouvelles viennent se télescoper dans notre actualité récente, apparemment disjointes mais qu’un examen plus approfondi et audacieux permet de rapprocher.
La première tient à la destruction d’un château « par erreur », ainsi que le relate le Figaro du 30 novembre. A Yvrac, petite commune du vignoble bordelais, un néo-châtelain russe, heureux propriétaire d’une chartreuse du XVIIIème siècle à l’architecture délicieuse, gérant sa propriété à distance, a vu son bien tomber sous les coups de mâchoires d’une vorace pelleteuse conduite par des polonais qui n’avaient semble-il pas bien compris la commande. L’affaire est malheureuse et procède d’une bêtise qu’on n’imagine pas pouvoir être encore existante. Notons la grande circonspection, voire suspicion, de la population locale. Certains y voient là un acte manqué d’un propriétaire avide de récupérer le foncier d’une maison qui nécessitait une restauration d’envergure, sans passer par la case du permis de démolir.
La seconde information nous est donnée par un article du Figaro du 7 décembre 2012 dont le titre se suffit à lui-même pour en saisir la teneur : « les résidences secondaires, davantage taxée », à travers le mécanisme d’une super taxe d’habitation applicable dans les « zones tendues ». Il s’agit en même temps d’alourdir l’impôt sur les plus-values immobilières.
Alors, quel lien y a-t-il entre le rasage de très près d’un élément de patrimoine historique et cette dernière actualité fiscale ? Il est mis en évidence par le fait que les maisons de village et des campagnes, si éloignées du bassin économique et dont le toit tient encore par leur statut de résidence secondaire verront leur entretien et leur pérennité contrariés si les propriétaires qui les chérissent s’en trouvent découragés. C’est toute une architecture d’accompagnement et un « petit patrimoine » vernaculaire, qui n’entrent pas dans les grandes catégories des monuments historiques classés et inscrits, mais dont la saveur est réelle, qui seront fragilisés, parce les capacités contributives des redevables butent sur des limites que le recours à la dette infinie ne permet pas de desserrer. Déjà, les nomades à sensibilité patrimoniale s’inquiètent de voir tous ces immeubles en déshérence qui tombent faute de candidat à l’investissement. Les centres-villes maintiennent parfois leur boutique du rez-de-chaussée, mais les étages sont définitivement vacants, et même pendant les vacances ! Se pose ainsi avec acuité la question du maintien d’une forme d’aménagement du territoire et de transfert de richesse de la grande ville vers la ruralité et le tissu conjonctif des villages.
La fiscalité désincitative joue dès lors comme cette pelleteuse devenue folle qui n’a laissé aucune chance à la chartreuse de Bellevue, mais de façon insidieuse et avec moins de radicalité. Elle porte en germe sur le long terme la destruction du patrimoine « par erreur. ».
Noël Mouré
Secrétaire général des Journées Juridiques du Patrimoine