EDITO – Décidemment, l’eau de la Dordogne sera-t-elle condamnée à couler sous les ponts de Beynac…
C’est une rivière qui berce de ses eaux des châteaux dont les noms : Beynac, Marqueyssac, Castelnaud, Fayrac, les Milandes, roucoulent dans votre bouche et qui abrite en son cours une admirable richesse de biodiversité. A tel point que l’Unesco a inscrit sur la liste de la réserve mondiale de biosphère le bassin de la Dordogne.
Vint un seigneur local, président du Conseil Départemental. Il avait fait proclamer que son grand œuvre, à savoir faire traverser la rivière par deux ponts, nonobstant les dommages causés, aux paysages, à la biodiversité et contrairement à toutes les valeurs défendues aujourd’hui, serait mené à son terme.
Apres moult débats administratifs, le Conseil d’État, par un arrêt du 29 juin 2020 a mis un point final aux espérances de ce potentat. Constatant qu’un plus petit seigneur, maire de Beynac, qui ne lui faisait pas allégeance, avait par des travaux bien plus discrets réglé le problème de circulation à résoudre, il refusait de recevoir les recours en cassation de ses affidés contre la décision de la cour administrative d’appel qui avait enjoint aux promoteurs de détruire les travaux faits illégalement.
On eût pu penser que, comme l’avait écrit la quasi-totalité de la presse locale, l’affaire était terminée. C’est également ce que pensaient les juristes nombreux autour de cette affaire. On observait avec commisération les derniers artifices de procédure employés par les débiteurs des astreintes. Elles sont prononcées et décomptées en jours à partir de la date limite fixée par la Cour d’Appel. Il ne s’agit plus que d’éviter d’avoir à les payer. Mais comment ?
Stupéfaction !
En octobre 2022, attachée comme il se doit au projet de loi dit « accélération des énergies renouvelables » l’étude d’impact est ainsi rédigée par le gouvernement :
« Le dossier du contournement routier de Beynac, largement relayé dans la presse, est un parfait exemple de la nécessité de légiférer.
L’objectif de la disposition proposée n’est pas de neutraliser le critère de la raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM), dont la spécificité émane du droit européen ct qui est motivée par le fait que les atteintes aux espèces protégées et à leurs habitats sont strictement interdites par la loi, sauf dérogation octroyée dans des conditions précises et exigeantes. Dans le contexte actuel de dégradation de la biodiversité ct de disparition des espèces, il n’est pas question de remettre en cause ce critère ou de porter atteinte aux garanties présentées par la dérogation espèces protégées.
L’objectif recherché par cette disposition est de renforcer la cohérence de la procédure et sa solidité juridique en permettant, bien avant la finalisation du dossier d’autorisation et l’engagement de la phase travaux, d’interroger le caractère de RIIPM du projet, dès la phase de déclaration d’utilité publique du projet.
L’objectif poursuivi est ainsi multiple :
Sécuriser les porteurs de projets dans leurs démarches : les porteurs de projets doivent faire des investissements lourds en études et acquisitions foncières pour faire avancer leurs projets, et la reconnaissance de la raison impérative d’intérêt public majeur. »
Utiliser ainsi la voie législative pour satisfaire les demandes d’un élu local, demandes sanctionnées par le Conseil d’Etat afin de l’affranchir des interdictions strictes édictées par les directives européennes, j’avoue, chers lecteurs, que les bras m’en sont tombés.
Le plus sidérant est que l’on joue à cartes découvertes, comme si l’administration centrale pouvait tout se permettre et le dire. Le réchauffement climatique est apparemment remonté jusqu’à la Dordogne, transportant avec lui des pratiques en usage dans des pays plus chauds.
Alain de la Bretesche,
Président de Patrimoine Environnement
Pour aller plus loin :