Conseils aux propriétaires et maîtres d’ouvrage soucieux de l’application du décret du 30 mai 2016 « relatif aux travaux d’isolation en cas de ravalement de façade, de réfection de toiture, ou d’aménagement… »
Vous êtes propriétaire d’un immeuble ayant un certain caractère patrimonial, ce caractère est protégé ou non par des dispositions législatives ou réglementaires. Vous envisagez un ravalement ou une réfection de toiture et vous avez entendu parler des obligations d’un décret qui vous oblige à isoler votre façade par l’extérieur ou à réaliser des isolations coûteuses et inutiles en sous-toiture.
Vous savez que les associations du patrimoine ont saisi le Premier ministre d’un recours gracieux lui demandant de retirer ce décret. Les associations du G8 Patrimoine, signataires de ce recours ont été convoquées lundi 26 septembre pour rencontrer madame Ségolène Royal. En réalité la directrice adjointe de son cabinet a présidé une réunion ouverte au G8 Patrimoine, aux Villes d’Art et d’Histoire, aux CAUE, à l’ADEME, à certains représentants des Parcs régionaux, en présence des services du ministère et des membres du Cabinet.
Tous les participants sans exception ont plaidé pour un régime particulier applicable aux immeubles construits avant 1948 et pour des mesures d’accompagnement concernant la formation des artisans, des incitations financières et fiscales distinctes de celles concernant la construction en béton des Trente glorieuses, ainsi qu’une législation adéquate.
Il est difficile de dire quelle sera la décision finale de la ministre sur le rapport qui lui sera fait, même si l’idée d’une refonte du décret litigieux a été évoquée.
Pour le cas où cette rencontre n’aurait pas d’effet, il faudra saisir le Conseil d’État. Vous n’ignorez pas que les procès administratifs sont très longs et généralement non suspensifs. Votre question existentielle : que faire en attendant la fin de ces contentieux ?
Nous sommes informés que le ministère de la culture, qui n’est pas signataire d’un décret qui pourtant traite des secteurs et immeubles protégés (ce qui pourrait être une cause de sa nullité), s’efforce de prévoir avec les architectes des mesures de prévention pour éviter le pire.
En l’état du droit, qui empile les textes et ne simplifie rien, notre association s’efforce de vous aider à vous y retrouver et à trouver une solution solide. Accrochez-vous, car les cheminements à travers les arcanes du droit français ne sont pas de tout repos.
Date d’application
Tout d’abord, nous savons par vos remontées vers nous, que les marchands de matériaux et les artisans, qui sont leurs clients, n’hésitent pas à oublier de vous dire que le décret ne sera applicable que le 1er janvier 2017 et que tous les devis d’engagement des travaux ou de la maîtrise d’œuvre signés antérieurement ne doivent pas l’appliquer.
Donc, rien avant le 1er janvier prochain.
L’isolation par l’extérieur en cas de ravalement important est-elle une obligation de la loi ou du décret ?
Ladislas Poniatowski était le rapporteur au Sénat de la loi « transition énergétique ». Il a accompli une mauvaise et une bonne chose à propos de l’article 14 de cette loi.
– La mauvaise a été de faire repousser par le Sénat les amendements très clairs déposés au nom de la commission des affaires culturelles par Françoise Férat, qui édictaient la liste des bâtiments existants exonérés de l’obligation, notamment ceux qui sont antérieurs à 1948.
– La bonne a consisté à faire adopter un amendement qui est aujourd’hui le texte promulgué selon lequel un décret en Conseil d’État détermine, non pas comme dans le projet « les bâtiments devant faire l’objet d’une isolation par l’extérieur » mais seulement « ceux devant faire l’objet de travaux d’isolation ». Il a ajouté que cette modification « générique » permettait de procéder à l’isolation sans exclure d’autres possibilités que l’isolation par l’extérieur.
Nous pouvons donc affirmer aujourd’hui que, ni dans la loi, ni dans le décret le mot isolation par l’extérieur n’est prononcé. En conséquence, il n’existe aucune obligation qui s’impose à vous d’isoler un immeuble par l’extérieur. Par contre, un ravalement est un travail « d’isolation » au sens de la loi votée.
Mais alors : à quoi êtes-vous obligé en cas de ravalement ou de travaux de toiture ?
Votre obligation réside dans le premier paragraphe de l’article 14 de la loi transition énergétique : vous devez, par les travaux que vous entreprenez, atteindre « un niveau de performance énergétique compatible avec les objectifs de la politique énergétique nationale »
Où trouve-t-on les objectifs de la politique énergétique nationale ? Ils se trouvent dans l’article 100-4 du code de l’énergie, avec entre autre un objectif n°7 : « disposer d’un parc immobilier dont l’ensemble des bâtiments sont rénovés en fonction des normes » bâtiment basses consommations » ou assimilées, à l’horizon 2050, en menant une politique de rénovation thermique des logements concernant majoritairement les ménages aux revenus modestes ».
Vous avouerez que cela n’est pas d’une clarté éblouissante : peut-être avez-vous des revenus modestes, peut-être pas. Que veut dire « majoritairement » ? L’horizon 2050 n’est pas pour demain… Les normes « basses consommations » sont impossibles, chacun le sait, à appliquer à un bâtiment ancien dès lors que l’on respecte ses caractéristiques et pour ceux dont la conception ne le prévoit pas…
C’est là qu’intervient le décret du 30 mai 2016
Dans un article R131-26 qu’il introduit dans le code de la construction et de l’habitation il précise que : « les caractéristiques thermiques et les performances énergétiques des équipements, installations et ouvrages ou systèmes doivent être conformes aux prescriptions fixées par un arrêté des ministres chargés de la construction et de l’énergie…. »
Quel est donc cet arrêté ministériel ? Curieusement, mais ce n’est pas un problème, il est antérieur au décret pour avoir été pris le 3 mai 2007. Il dispose en se référant à une directive européenne, dont nous reparlerons plus bas, que la résistance thermique des parois des locaux chauffés dont la surface au sol est supérieure à 0,5 m2 donnant sur l’extérieur, sur un local non chauffé ou en contact avec le sol doit être calculée selon des tableaux très techniques qui ne paraissent pas utile à notre démonstration.
Par contre, il est utile de savoir que les murs, planchers et toitures selon l’article 2 de l’arrêté, concernés par ces calculs de résistances sont :
– les murs composés de briques industrielles, de blocs de béton industriels ou assimilés, béton banché et bardages métalliques
– les planchers bas composés de terre cuite ou de béton
– tous types de toitures
On observera donc que les murs composés de pierres, de bois, de torchis de briques artisanales sont clairement exclus au nom du principe de précaution compte tenu des risques de pathologie des parois.
S’agissant des planchers bas, le tableau ne vise que ceux qui donnent sur l’extérieur ou sur un parking collectif et ceux donnant sur un vide sanitaire ou un volume non chauffé.
A ce stade, si votre immeuble a pour façade un mur en pierre, en bois, en brique artisanale ou en torchis ou en terre vous n’êtes donc pas concerné par cette réglementation nouvelle en l’état.
Mais il y a les planchers bas en contact avec l’extérieur, les murs un peu composites, les toitures … Le problème n’est pas, nous l’avons vu, la question de l’isolation par l’extérieur, mais celui de l’application de normes de résistances thermiques qui ne tiennent aucun compte des constructions d’avant 1948 et de ses caractéristiques : inertie des murs, respiration hiver été, etc.
On en vient donc aux exceptions :
Dans quel cas un immeuble est-il totalement exonéré de cette réglementation.
L’aventure commence comme toujours à Bruxelles et à Strasbourg. Toute cette réglementation n’est pas d’origine française mais européenne. Il s’agit de la directive du 16 décembre 2002 du Parlement Européen et du Conseil de l’Union européenne. Cette directive après avoir obligé les Etats membres à rapprocher leur réglementation énergétique précise que ce n’est pas une raison pour mettre à mal les immeubles anciens : « Les Etats membres peuvent décider de ne pas fixer ou de ne pas appliquer les exigences fixées… pour les catégories de bâtiments suivants : les bâtiments et les monuments officiellement protégés comme faisant partie d’un environnement classé ou en raison de leur valeur architecturale ou historique spécifique, lorsque l’application des exigences modifierait leur caractère ou leur apparence de manière inacceptable .»
C’est pourquoi l’arrêté du 3 mai 2007 déjà cité et toujours en vigueur, pris pour l’application de la directive qu’il cite dans ses visas s’empresse d’emboîter le pas à celle-ci en complétant même la liste des exceptions pour n’oublier aucune situation française. Il dispose que « les travaux d’isolation des murs par l’extérieur ne doivent pas entraîner de modifications de l’aspect de la construction en contradiction avec les protections prévues pour :
– les secteurs sauvegardés
– les AVAP
– les abords des monuments historiques
– les sites inscrits et classés
– les immeubles bénéficiant du label Patrimoine du XXe siècle
– les immeubles protégés au titre d’un PLU en application des articles L151-18 et L151-19 du code de l’urbanisme.
La récente loi Liberté de création, architecture et patrimoine, promulguée le 7 juillet 2016
Il ne vous aura pas échappé que cette loi est postérieure au décret dont nous discutons. Si donc, des dispositions de ce décret sont contraires à la loi, elles doivent être considérées comme abrogées.
Or, s’agissant des protections relevant du ministère de la culture dans la liste de l’arrêté précité, à savoir : les secteurs sauvegardés, les nouvelles aires de valorisation qui ont remplacé AVAP et ZPPAUP, les abords des monuments ainsi que les monuments eux-mêmes, les sites classés, les sites de l’UNESCO, on y ajoutera les labels de la fondation du patrimoine, résultent toutes soit d’un régime juridique précis détaillé établit par les autorités administratives locales dans un règlement particulier ou obéissant au régime général du code du patrimoine.
Ces régimes juridiques, parfaitement conformes à la directive puisque autorisée par elle dans l’article que nous venons de commenter, s’imposent à un décret.
Vous retiendrez que tous travaux modifiant l’aspect des immeubles inscrits, classés, situés dans les abords, dans un site classé, dans les secteurs Unesco doivent faire l’objet d’une procédure d’autorisation préalable, expresse ou tacite. Il est donc parfaitement inutile de consulter des professionnels supplémentaires dès lors que le dossier de demande d’autorisation sera soumis à l’ABF qui respectera les bâtiments anciens sans problème.
Les mesures contestables du décret
Au lieu de dresser une liste claire et précise des immeubles exonérés de la contrainte, le décret dans un nouvel article R131-28-9 organise une usine à gaz établissant quatre critères d’exonération.
Deux de ces critères numérotés 2 et 3 dans le nouvel article R131-8-9 du code de la construction ne posent pas de problème, car il s’agit d’une part de l’application du droit des sols et du droit de propriété et d’autre part de bâtiments protégés qui obéissent à des régimes juridiques qui empêchent leur modification sans autorisation préalable. Pour ces bâtiments, le recours à un professionnel supplémentaire attestant qu’il n’y a pas lieu d’appliquer les contraintes n’est pas exigé. De surcroît l’exonération existe dans l’arrêté de 2007. Tout se réglera donc au moment de l’autorisation préalable
Les deux autres critères numérotés 1 et 4 sont le nœud du problème car ils s’appliquent à tous les bâtiments et donc en particulier ceux qui ne sont pas protégés.
Le 1er critère porte sur les risques de pathologie du bâti « liés à tous types d’isolation ». Ce terme ne doit pas faire illusion : on aura compris qu’il s’agit bien de l’isolation par l’extérieur. Tous les vrais professionnels savent que cette isolation a dans tous les cas, pour effet de provoquer une pathologie du bâti sur les immeubles d’avant 1948, construits en pierre, en bois ou en terre ; puisqu’elle porte atteinte à l’inertie naturelle des murs ainsi qu’à la respiration saisonnière de ceux-ci. Mais il faudra demander, moyennant finance, à un architecte d’en attester.
Le 4e critère couvre deux situations :
– Lorsqu’un bilan de comparaison entre le coût de l’isolation par n’importe quel procédé, déduction faite des aides publiques et un revenu démontrant un temps de retour sur investissement. S’il faut plus de dix ans pour récupérer son investissement les travaux contraints ne sont pas obligatoires. C’est à un professionnel architecte, toujours moyennant finance, d’attester de la durée du retour sur investissement.
– Lorsqu’il est à prévoir un impact négatif trop important (sic) de l’aspect extérieur après travaux au regard de sa qualité architecturale
On voit bien les risques de ces mesures : un artisan crédule et un fournisseur de matériaux habiles ne mettront pas longtemps à convaincre le maître d’ouvrage de la nécessité, pour obtenir une aide publique et un avantage fiscal d’aller au plus court et au moins dommageable.
Comment se sortir de ces deux situations ?
Tout d’abord, vérifier au moment de l’étude du ravalement ou de la restauration de la façade si les murs sont en pierre, en brique artisanale, en terre ou en bois et en torchis. Si tel est le cas, le décret ne s’applique pas.
Ensuite lorsque, dans le cas du 4e critère, vous ferez une véritable opération de restauration immobilière, après discussion avec votre maître d’œuvre, rapprochez-vous d’une association du Patrimoine pour analyser la situation et continuer la discussion.
Nous ne balayons pas, comme vous aurez pu le constater tous les cas de figure, mais pour l’essentiel, ce qui doit être protégé peut l’être, en attendant que le contentieux contre ce décret inique soit terminé.
Un nouveau danger est signalé par nos amis de Maisons Paysannes de France, lors de leur audition par l’administration le 9 septembre dernier, il a été annoncé un guide à paraître qui reprendrait les dispositions qui écartent le bâti ancien de l’application du décret figurant dans l’arrêté de 2007. Mais, car il y a un mais, cet arrêté serait refondu…
En attendant, nous sommes à votre disposition pour vous aider si besoin est.
Alain de La Bretesche, président