Édito – « Compter » avec le vent aussi : un site UNESCO qu’on abaisse et ces « mâts » qu’on abat !
Quand on revendique, comme notre Fédération, le nom composé de Patrimoine-Environnement, il serait fort mal venu de s’opposer, par principe, à l’éolien. Tout comme le nucléaire et d’autres sources d’énergie décarbonées, nous aurons besoin de tout pour fournir l’énergie de notre nouveau monde.
Mais, pour le même motif, il nous est absolument impossible d’accepter que la beauté des paysages, que les abords des patrimoines historiques, que l’environnement de nos lieux de vie, que l’intégrité d’espaces et d’espèces protégées et que le confort visuel et auditif de nos concitoyens soient sacrifiés, sans plus de respect, à l’idéologie « éolienne » des uns et à l’intérêt économique des autres !
C’est tout le sens des combats que nous menons, ou que nous soutenons, pour que la « raison tout court » l’emporte sur la « raison d’intérêt public majeur » qui s’attacherait à couvrir le territoire de mâts éoliens de plus de 200 mètres de hauteur, au mépris du patrimoine protégé, au mépris des décisions des élus concernés, au mépris de l’expression unanime des populations riveraines. L’intérêt « du » public ne serait-il plus un intérêt « public » ?
Deux exemples récents nous confortent dans ce combat.
Un exemple consternant : l’atteinte inenvisageable au patrimoine UNESCO du Val de Loire.
Le Val de Loire, trésor national, peut légitimement s’enorgueillir de son inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO. Rappelons que, dans notre pays, seuls 52 biens ont obtenu une telle reconnaissance. Le Château d’Amboise constitue l’un des fleurons du site UNESCO Val de Loire.
Le « plan de gestion » du site, adopté par l’État et les 197 collectivités concernées en 2012, exclut toute implantation d’éoliennes « visibles depuis le Val », et notamment « à moins de 15 km du rebord du Val ». Pourtant, à Auzouer-en-Touraine, en violation de cette prescription unanime et dans le champ de visibilité du Château d’Amboise, l’autorisation d’un parc de 4 éoliennes n’attend plus que la décision du représentant de l’État, nonobstant les nombreux avis défavorables qu’elle a suscitée, incluant celui de la Commission Départementale de la Nature, des Paysages et des Sites (CDNPS) rendu le 10 octobre 2023.
Face à la mobilisation des défenseurs du patrimoine, une tierce expertise a été ordonnée par le Préfet. L’enjeu est de taille : la menace, au détour d’un « suivi réactif » exercé, comme ce fut le cas pour la Baie du Mont Saint-Michel, par le Centre du Patrimoine Mondial, d’un déclassement du site UNESCO du Val de Loire. Les associations nationales du patrimoine, unies autour de cette grande cause, ne le laisseront évidemment pas faire !
Un exemple encourageant : la remise en état obtenue en justice d’un paysage naturel de l’Hérault.
Le combat opiniâtre mené depuis 2016 par un collectif de défenseurs résolus des paysages et des espèces protégées [1] aux côtés de l’association Sites et Monuments, toujours à la pointe de combats courageux, vient de trouver un heureux aboutissement judiciaire. En 2021, la justice avait ordonné la démolition d’un parc de 7 éoliennes, illégalement implantée sur le plateau de Bernagues, à Lunas près de Lodève. La Cour d’appel de Nîmes vient de confirmer cette décision dans un arrêt du 7 décembre 2023, assorti d’un délai strict (mars 2025) et de lourdes astreintes (3 000 €/jour).
Une occasion, « grandeur nature » si j’ose dire, de vérifier la réversibilité tant « vantée » de ces très imposantes installations. Mais, au final, quel gâchis pour la planète : des mâts et des blocs de béton au bilan CO² déplorable ont creusé le plateau lunassien, défiguré un paysage naturel et causé la mort d’espèces protégées ; et maintenant, il faut tout remettre en état et traiter les déchets, un coût de démantèlement et de destruction qu’il sera ainsi possible de mesurer.
J’espère que les pouvoirs publics dresseront sans tarder le bilan économique, écologique et sociétal du « mauvais coup » que l’entêtement d’intérêts économiques aura, ici encore, porté à la nature !
Dans ma vie professionnelle à Bercy, j’ai appris à compter, un apprentissage qui semble s’être perdu lorsqu’il est question d’éoliennes. Mais, pour faire les « bons comptes » qui, comme chacun le sait font les « bons amis », il faut tout compter, sans omettre ni aucun bénéfice, ni aucun coût.
Apprenons donc à « compter » avec le vent aussi !
Christophe Blanchard-Dignac
Président de Patrimoine-Environnement
[1] Collectif pour la protection des paysages et de la biodiversité Hérault-Aveyron