Compte-rendu du voyage – Naples (16-19 avril 2024)
En Méditerranée, il pleut au printemps et à l’automne. Épisodes parfois violents à l’automne ; au printemps ce sont plutôt les averses. Ce fut le cas pour nous. Averses alternant avec le soleil, températures fraîches, toutes les nuances de vert dans le paysage, l’idéal pour profiter des visites à pied sans avoir trop chaud.
Éviter le coup de chaud est donc possible à Naples, mais éviter les bouchons, non. Le centre de cette ville a 2500 ans d’histoire. Côté terre, elle est cernée de collines qui se sont urbanisées au fil des siècles. Les rues sont étroites et souvent tortueuses. Dans les rares portions droites, des travaux s’invitent. À chaque carrefour, il faut attendre. Le programme des visites doit en tenir compte, on aimerait voir plus car les sites historiques sont légion, mais les 3 jours passés nous ont offert un bon aperçu. Revenir vaudra la peine pour continuer l’immersion culturelle.
Si la circulation est compliquée à Naples, son histoire l’est aussi. Au 8ème siècle avant J.C., les Grecs fondent une colonie à Cumes, dans la périphérie ouest de la ville actuelle. À la fin du 6ème siècle, ils rebâtissent une nouvelle ville à peu de distance. C’est Neapolis.
Naples s’allie à Rome au 4ème siècle et s’intègre progressivement dans l’État romain au fur et à mesure de la montée en puissance de celui-ci. Elle va pendant longtemps rester plus peuplée que Rome, en jouant le rôle de capitale culturelle de l’Empire.
À la chute de l’Empire romain, elle passe sous la domination des Byzantins, et prend son indépendance en 751. Très convoitée par les Lombards, les Byzantins, les Sarrasins et l’État Pontifical, elle résiste longtemps à tous ses prétendants. Mais au 11ème siècle elle s’allie par prudence aux Normands, installés alors à Palerme, et finit par s’intégrer à leur Royaume de Sicile en 1139.
Le royaume normand, toutefois, ne va pas tarder à s’affaiblir. Progressivement, le grand sujet géopolitique de l’époque devient la lutte entre le Pape et le Saint-Empire Romain Germanique. Dans toutes les cités italiennes, les Guelfes partisans du Pape, et les Gibelins partisans de l’Empereur, s’affrontent périodiquement, les uns chassant les autres puis revenant au pouvoir ensuite.
Au début du 13ème siècle, le Saint Empire étend son emprise sur Naples et le Royaume de Sicile. L’État Pontifical est menacé d’encerclement. Les papes cherchent de nouveaux soutiens. Ils finissent par négocier une alliance avec Charles 1er d’Anjou, frère cadet de notre roi Louis IX. Celui-ci entre à Naples en 1266 et devient roi de Sicile. Mais les siciliens, alliés aux Aragonais, le chassent peu après de la grande île. Il conservera la partie continentale du royaume avec Naples pour capitale.
Figure historique majeure de l’histoire de Naples, Charles d’Anjou fonde une dynastie qui perdure jusqu’en 1442, quand les Aragonais s’emparent de la totalité du royaume. Il est enterré dans la cathédrale de la ville.
Pendant trois siècles ensuite, le destin de Naples sera, de façon presque continue, lié à celui de l’Espagne. La ville se développe rapidement au 16ème siècle et devient la ville la plus peuplée d’Europe après Paris. Il faudra attendre 1759 pour que le Royaume de Naples devienne indépendant de l’Espagne lorsque Charles III de Bourbon quitte la ville pour devenir roi d’Espagne à Madrid. Son fils Ferdinand IV lui succède à Naples. Mis à part le court épisode napoléonien, les Bourbons restent au pouvoir jusqu’à l’unité italienne en 1860.
L’histoire napolitaine est riche de multiples péripéties. Ce très bref résumé permet d’y prendre ses repères.
Les dynasties et les rois se succèdent à Naples, mais il existe un personnage incontournable que l’usure du temps et les aléas de la politique n’atteignent nullement. Impossible d’ignorer sa présence lorsque l’on entre dans la ville, il domine celle-ci. Son aspect lourd et aplati ne doit pas créer la méprise. Il sommeille certes, mais gare à son réveil. C’est un serial killer en puissance.
L’anéantissement de Pompéi et d’Herculanum en 79 de notre ère est connue de tous. Depuis cet évènement tragique le Vésuve a alterné des périodes de calme de parfois plus d’un siècle avec des épisodes d’activité intense. La dernière éruption date de 1944 et fit 26 morts. Aujourd’hui bien sûr, il est activement surveillé, mais nul doute que le prochain réveil de la bête pourrait entraîner des conséquences catastrophiques.
Il était juste en face de ma chambre d’hôtel. Trop loin de la zone de retombée des cendres certes, mais quand même…
Arrivé le 16 avril en fin d’après-midi, j’ai manqué la visite du Pio Monte. Mon programme commence donc le 17 au matin par la visite du palais royal de Caserte, à 25km au nord de Naples. La ville, située au milieu d’une plaine agricole très densément exploitée, est sans grand charme. Elle est surtout connue pour sa mozzarella di bufala, dont elle est considérée comme la capitale, ainsi que pour être un des fiefs de la Camorra, la mafia napolitaine, si bien mise en scène dans l’excellent film « Gomorra » de Matteo Garrone.
Pour notre visite ce jour-là, pas de cinéma, de la réalité concrète, qui se résume en un mot : énorme.
En 1751, le roi Charles III entreprend de construire à Caserte un palais sur le modèle de Versailles. Il veut en fait non seulement rivaliser avec la demeure des rois de France, mais faire plus grand. Objectif réussi. Une gigantesque bâtisse sort de terre, dont l’aménagement complet durera près d’un siècle. L’objectif à terme est d’en faire la résidence principale du roi, au détriment du palais de Portici, situé au pied du Vésuve et proche de la mer, donc vulnérable à la fois aux éruptions volcaniques et aux invasions maritimes ennemies.
Il faut attendre 1780 pour que le fils de Charles III, Ferdinand IV, commence à habiter le palais, mais dans les faits il ne sera jamais occupé à temps plein et la cour ne s’y transfèrera que de façon épisodique.
Nous visitons cette demeure pour géants, aux proportions certes harmonieuses mais démesurées, avec des plafonds de 8m de haut, puis le parc bâti autour d’une perspective de bassins et de fontaines de 3km de long. Il faut presque une heure à pied pour atteindre la dernière fontaine, alors de petits véhicules électriques y transportent les touristes. Il ne faut pas la manquer. Elle met en scène la légende d’Actéon, le chasseur qui surprend la déesse Diane se baignant dans une rivière. Se considérant offensée, elle transforme Actéon en cerf et ses chiens le dévorent. La sculpture représentant Actéon est particulièrement expressive, le désespoir humain est parfaitement reflété sur son visage animal.
Contrairement à ce que l’on croît, le mouvement « Me too » ne date pas de notre siècle. Il existait déjà dans l’Antiquité, et à l’époque les sanctions étaient beaucoup plus sévères.
Un jardin anglais, le premier du genre en terre italienne, abrite de très nombreuses essences provenant de tous les continents. Deux siècles et demi plus tard, de vénérables spécimens sont toujours debout et font le régal des amateurs de botanique.
Notre car nous conduit ensuite à Capodrise, non loin de Caserte, où nous déjeunons au Palazzo Mondo en compagnie du propriétaire. Ce fut au 18ème siècle la demeure du peintre Domenico Mondo, aujourd’hui c’est un musée historique qui abrite, outre les fresques de Mondo, des peintures murales d’époque en différents styles. Nous terminons l’après-midi à Recale par la visite des jardins de la Villa Guevara. Les résidents de cette demeure ducale n’étaient nullement des révolutionnaires, ils suivaient simplement la mode de leur temps en faisant cohabiter deux jardins, l’un traditionnel et l’autre « moderne » à l’anglaise où furent plantées, comme au palais de Caserte, des essences rares. Nous y admirons notamment un majestueux camphrier qui y survit aujourd’hui.
Le soir le dîner était libre, mais certains membres du Groupe avaient réservé leurs places au théâtre San Carlo pour y voir un opéra baroque. San Carlo a été inauguré en 1737. C’est un des plus célèbres théâtres lyriques au monde. Au 18ème siècle il accueillit les castrats à la grande époque du baroque. Rossini, puis Donizetti le dirigèrent au début du siècle suivant. Le commentaire de nos spectateurs fut positif, soulignant notamment une forte proportion de jeunes parmi l’assistance. C’est réconfortant pour un genre musical souvent qualifié de ringard aujourd’hui.
Nous démarrons la journée du lendemain dans le centre historique de Naples en visitant deux églises. Santa Chiara possède un cloître remarquable, avec son ensemble de colonnes et de bancs de pierre entièrement recouverts de faïences. Elles représentent notamment des scènes de la vie populaire napolitaine. L’œuvre a été réalisée au 18ème siècle par le sculpteur D.A. Vaccaro lorsque le cloître originel du 14ème siècle fut entièrement rénové.
Quant à Sant’Anna dei Lombardi, proche de Santa Chiara, son apparence extérieure est très modeste, mais son intérieur offre au visiteur un très riche ensemble de sculptures et de fresques réalisées par les grands maîtres des arts figuratifs toscans de la renaissance, Mazzoni, Rossellino, Vasari et autres.
Cap sur le port ensuite pour embarquer vers Capri. Cette île mythique fut la capitale de la jet set dans les années d’après-guerre. Hervé Vilard l’a prise pour cadre dans sa célèbre chanson tube de l’été 1965. Pour nous Capri ce n’est pas fini, au contraire cela commence par la vision inattendue d’un rocher abrupt de près de 600m d’altitude qui prolonge la péninsule de Sorrente. L’ile est cernée de falaises verticales. On pensait y trouver des plages de rêve bordées de pins où l’on ferait l’expérience de la dolce vita, eh bien c’est raté. Pratiquement pas de plages à Capri, pour profiter de l’eau turquoise il faut venir en bateau. Ils cernent l’île en été, heureusement pour nous la saison touristique commençait à peine et ils ne gâchaient pas encore la beauté du paysage. La vue sur la baie de Naples depuis la villa d’Axel Munthe, à mi-hauteur du sommet principal de l’île, vaut à elle seule le déplacement.
Médecin et écrivain suédois, très lié à la famille royale du pays, Munthe acheta la Villa San Michele dès l’âge de 30ans. C’est aujourd’hui un petit musée entouré de jardins en terrasses dominant la mer. Le Consulat de Suède y est installé.
La vie à Capri se concentre autour du village principal, situé sur un plateau au centre de l’île entre les deux sommets est et ouest. De nombreuses villas entourées de citronniers occupent les pentes voisines. Les citronniers sont omniprésents dans l’île.
Le vendredi, deux derniers monuments nous attendent. L’église San Giovanni a Carbonara, construite au 14ème siècle renferme de somptueux monuments funéraires et décorations de la Renaissance, notamment des fresques de Vasari. Ensuite à la Villa Lucia, située dans la partie haute de la ville, la propriétaire nous offre le déjeuner. Cette dame parle fort bien le français. Elle vit à Arezzo, non loin de Florence, et s’est déplacée pour nous. Le bâtiment est doté d’un imposant portique à 4 colonnes de style dorique, érigé au début du 19ème siècle, et d’une grande terrasse idéalement située au-dessus de la ville et de sa baie.
Au retour vers l’aéroport, la route est complètement bouchée. Mais nous avons un chauffeur qui connaît parfaitement les bons détours et nous permet d’arriver de justesse à l’heure.
Naples vaut un voyage, et encore mieux plusieurs pour prendre le temps de profiter de ses richesses culturelles innombrables. Retournons y en avion ou en train, mais de préférence pas en voiture…
JL Pélissier.