Rapport sénatorial sur les Architectes des Bâtiments de France
Le Sénat a créé une mission d’information sur le sujet du périmètre d’intervention et des compétences de l’ABF.
Présidée par Marie-Pierre Monier, sénatrice de la Drôme, et comptant comme rapporteur Pierre-Jean Verzelen, sénateur de l’Aisne, cette mission vient de rendre son rapport d’étude.
Celui-ci résulte de multiples auditions parmi lesquelles celles de l’Association Nationale des Architectes des Bâtiments de France (ANABF), de la Fédération Nationale des CAUE, de notre président et également de Stéphane Bern.
Ce rapport émet, en premier lieu, deux considérations :
1) Les ABF occupent une place centrale dans la protection du patrimoine et de la qualité du cadre de vie
- Ils sont la clef de voûte de la protection du patrimoine paysager
- Leur avis conforme repose sur leur expertise reconnue
- Des mécanismes de concertation et de recours ont été progressivement mis en place
Les ABF apparaissent aussi bien comme des censeurs que comme des partenaires
- Les principaux griefs qui leur sont faits :
. La variabilité et le manque de prévisibilité des avis
. Des prescriptions trop coûteuses
. Un manque de pédagogie des avis
. L’absence de prise en compte de la transition écologique
2) L’ABF est un maillon fragilisé de la chaîne patrimoniale, principalement du fait de sa surcharge administrative ; il manque donc de temps pour exercer auprès des élus et des porteurs de projets sa mission de conseil et de dialogue.
Suivent six axes d’actions comportant vingt-quatre recommandations afin de créer les conditions d’un « dialogue renouvelé entre les ABF et les élus » et de relever les défis de la transition économique et écologique :
– 1er axe : Faciliter la prise en compte de la problématique patrimoniale par les élus locaux
– 2éme axe : Améliorer la lisibilité et la prévisibilité des décisions de l’ABF
– 3ème axe : Mieux informer le public et les élus sur les problématiques patrimoniales
– 4ème axe : Mieux hiérarchiser les missions des ABF pour leur permettre de renforcer leur fonction de conseil
– 5ème axe : Renforcer l’attractivité du métier d’ABF afin de préserver un corps spécialisé de haut niveau sur le long terme
– 6ème axe : Tenir compte des spécificités du bâti ancien dans les politiques environnementales.
Il convient de souligner que les propositions résultantes sont le résultat d’un travail approfondi qui a permis de faire naître un consensus, alors même que les positions de départ des membres de la commission pouvaient différer. Prenant en compte la réalité du moment, ces propositions ne visent pas, par ailleurs, à bouleverser l’existant, mais à l’améliorer concrètement par des mesures opérationnelles abordables.
La question qui se pose maintenant est de savoir si une réelle volonté politique existera pour les retenir puis les mettre en œuvre.
À ce propos, je ne peux m’empêcher une réflexion personnelle sur la question du peu de moyens dont ils disposent encore et toujours ; il s’agit là, en effet, d’une question récurrente, périodiquement posée, presque depuis leur création, en 1946… !
Depuis le début des années 90, je ne connais pas si mal la question, ayant été à leur contact, dans ma vie professionnelle, d’abord au ministère de l’équipement, auquel ils étaient initialement rattachés, puis, depuis 1996, au ministère de la culture, et ayant eu des responsabilités recourant à leurs compétences dans le champ des espaces protégés.
Je ne peux donc m’empêcher de clamer : encore un énième rapport ! Alors que le débat sur leur statut, leur place dans l’organisation administrative, leurs « pouvoirs », leurs moyens … dure depuis plusieurs dizaines d’années, sans que leur sort ne change foncièrement malgré, il est vrai, plusieurs réformes dont ils ont fait l’objet.
Et pour cause ! A-t-on réellement la volonté de leur donner les moyens de leur rôle et de leurs actions ?
Dans un précédent édito et lors de son audition notre président rappelait, en effet, qu’en 2023, les 189 ABF et les 741 agents des UDAP, dernier acronyme des services qui accueillent les ABF, ont traité quelque 489.000 dossiers soit, en effectuant un calcul au prorata, une moyenne d’environ 13 dossiers par ABF par jour ouvrable)…
Je me souviens pourtant que beaucoup d’espoirs avaient été nourris par la majorité des ABF au moment de leur transfert du ministère de l’équipement au ministère de la culture, avec le souhait implicite, quant à eux, d’être mieux reconnus, mieux considérés et de pouvoir mieux agir sur le fond.
Espoir aujourd’hui déçu pour la très grande majorité d’entre eux bien qu’une fusion statutaire ait eu lieu en 1993 avec le corps des urbanistes de l’État, formant le nouveau corps des architectes et urbanistes de l’État, ce qui leur ouvrait de nouvelles perspectives d’évolution professionnelle.
Cependant, plus tard, les services départementaux de l’architecture (SDA), qui ont fait suite en 1979 aux agences des Bâtiments de France, puis ont évolué en 1996 en services départementaux de l’architecture et du patrimoine (SDAP) au moment de l’intégration au ministère de la culture, ont cédé leur qualificatif et donc leur qualité de service en étant nouvellement dénommés unités territoriales puis aujourd’hui départementales de l’architecture et du patrimoine (UDAP), désormais subordonnées hiérarchiquement aux directions régionales des affaires culturelles (DRAC).
Ce « déclassement » ne constituait-il pas une forme de régression de service et, avec lui, une forme de régression des ABF ? On peut légitimement se le demander si l’on considère, par ailleurs, toutes les attaques qui leurs sont régulièrement portées, accusant leur trop grande indépendance, leur avis « conforme », la discontinuité de leurs avis (spécialement en cas de changement d’ABF), jusqu’à leur inconstance voire leur versatilité, les « surcoûts » engendrés par leurs prescriptions …, le tout associé à une omnipotence due au fait qu’ils agissent, en application des textes, de façon autonome.
Sur ce dernier point, la capacité introduite d’un recours contre leurs avis, diversement appréciée alors par les intéressés, leur permettaient opportunément de ne plus être « en première ligne » et a pu démontrer, de par l’usage finalement restreint de ces recours et, la plupart du temps, la confirmation de leurs avis par les CRPA, qu’ils étaient tout à fait pertinents dans l’exercice de leurs missions …
« Quand on veut la mort de son chien, on l’accuse de la rage », n’est-ce pas ?
Ne devrons-nous donc pas une nouvelle fois nous résigner, surtout par ces temps de « vache maigre », à nous contenter qu’on les maintienne et que l’on ne leur retire pas leur avis conforme ?!
À se poser toujours les mêmes questions cela pourrait implicitement dissimuler le fait qu’on ne souhaite pas (peut pas?) vraiment les résoudre.
Après tout, les ABFne sont-ils pas majoritairement considérés négativement comme des « gêneurs » alors qu’ils peuvent donner d’utiles conseils et leurs prescriptions aboutir même, parfois, à un allègement du coût de réalisation des projets ?
Doit-on pour autant « jeter le bébé avec l’eau du bain » et négliger un tel rapport, au demeurant tout à fait pertinent ? Restons donc optimistes pour la destinée de ce rapport, nous n’avons pas d’autre choix.
Vous trouverez l’accès à ce rapport sous le lien :
Pour nos adhérents, vous pourrez également accéder en replay au web-atelier n°54 consacré à l’architecte des bâtiments de France sur notre site sous l’onglet « Web ateliers ».
Retrouvez aussi une fiche sur les Architectes des Bâtiments de France créée par le Ministère de la Culture via ce lien.
Dominique Masson
Secrétaire général