Apportons de l’eau à nos moulins !
Nous assistons depuis quelques années à l’intervention de l’administration sur les lits de nos rivières.
En effet, pour être en conformité avec la directive européenne n° 2000/60/CE du 23/10/00 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau (JOCE n° L 327 du 22 décembre 2000), la France à travers divers organismes s’occupant de l’eau et des milieux aquatiques, a transposé cette directive dans le code de l’environnement.
Cette transposition est énoncée sous la forme d’une loi : la LEMA (Loi sur l’eau et les milieux aquatiques). Elle permet ainsi la mise en œuvre de diverses actions.
Ces actions sont essentiellement des interventions sur les lits mineurs des rivières, en particulier sur l’effacement des seuils et les obstacles transversaux aux rivières, la suppression des biefs de moulin et autres étangs et/ou viviers (de monastères et d’abbayes) parfois très anciens.
Elle s’occupe donc essentiellement à rétablir la « continuité écologique des rivières.»
Quelques exemples montreront soit la difficulté de mise en œuvre, soit la réussite de l’opération.
En effet, si la directive européenne ne donne pas de recettes techniques, qu’elle ne parle pas de « continuité écologique des rivières », qu’elle souligne plus qu’autre chose un rétablissement de la qualité des eaux de surface et des eaux souterraines, elle rappelle aussi le caractère humanitaire, culturel et patrimonial du rôle de l’eau dans les pays de l’UE.
Par conséquent, la mise en œuvre de la continuité écologique des rivières semble être une spécificité franco-française qui se suffirait à elle-même pour être en conformité avec l’annexe V de la directive cadre sur l’eau (DCE).
Or, cette mise en œuvre a des conséquences énormes, non seulement sur le paysage et les effets voulus par les architectes et les paysagistes (l’eau sert souvent de miroir…), mais aussi sur l’économie, le tourisme, la conservation du patrimoine, la navigation, l’utilisation de la force de l’eau, la production d’énergie douce, les droits (les droits d’eau souvent millénaires) et les devoirs qui s’y rattachent.
Par-dessus tout, l’état sanitaire des eaux est souvent largement modifié et n’est souvent pas celui prévu par l’intervention (creusement rapide des lits mineurs, absence de piégeage des sédiments, etc).
En effet, rares sont les cas où une étude globale de l’environnement hors contexte du lit de la rivière vient à apporter des solutions extérieures au lit mineur (par exemple : réfection du bocage, entretien des fossés, gestion de la ripisylve, etc.).
Par ailleurs, on peut s’interroger sur la hiérarchisation des interventions, tant de nombreux cas sont inefficaces au regard de l’état de la rivière en aval des interventions (ensablement des estuaires, pollutions diverses aux embouchures de fleuves, barrages infranchissables, écluses, etc.).
Il y a donc de la mesure, de la bienveillance et du tact à garder au vu de la sensibilité de telles actions et de leurs résultats, en connaissance de quoi, il serait bienvenu que certaines mesures de protection soient très rapidement adoptées pour éviter le pire, en particulier pour conserver nos moulins et leurs biefs.
Alain-Claude Debombourg
Architecte-Urbaniste de l’Etat (français) et Paysagiste diplômé de l’Institut Supérieur Horticole de l’Etat Belge (Gembloux)
Note d’actualité :
Suite à la rédaction de cet article, il convient de faire état de la récente décision rendue par le conseil d’État, qui va dans le sens du propos de M. Alain-Claude Debombourg :
Par décision rendue le 15 février 2021 sur une requête introduite par le Cabinet d’avocat CASSINI pour le compte notamment de France Hydro Électricité, de la Fédération Française des Associations de Sauvegarde des Moulins – FFAM, de la Fédération des Moulins des France – FDMF, de l’Association des Riverains de France – ARF et d’Hydrauxois, le Conseil d’Etat a annulé l’article 1er du décret ministériel du 3 août 2019, qui avait durci la définition de l’obstacle à la continuité écologique prévue à l’article R 214-109 du Code de l’environnement.
Les avocats ont rappelé le contexte de cette décision :
« Pour mémoire, à compter de la date d’entrée en vigueur de ce décret porté par la Direction de l’Eau et de la Biodiversité/Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire, étaient notamment considérés comme un obstacle à la continuité écologique, dont la construction est interdite sur un cours d’eau classée en Liste 1 au titre de l’article L 214-17 du Code de l’environnement :
– Tout ouvrage en lit mineur d’un cours d’eau d’une hauteur supérieure à 50 cm, qu’il barre ou non l’ensemble de la largeur du cours d’eau, à la seule exception des ouvrages à construire pour la sécurisation des terrains de montagne pour lesquels il n’existe pas d’alternative,
– Tout ouvrage de prise d’eau ne restituant à l’aval que le débit réservé ou débit minimum biologique une majeure partie de l’année,
– Toute remise en état d’un barrage de prise d’eau fondé en titre notamment, dont l’état actuel pouvait être considéré comme ne faisant plus obstacle à la continuité écologique.
Ce décret condamnait une part majeure du potentiel de développement de l’énergie hydraulique en sites nouveaux et en rénovation sur des sites existants, dont une grande part est située sur les cours d’eau classés en Liste 1, et par ailleurs condamnait un nombre conséquent de moulins anciens à une démolition « naturelle » et inéluctable de leurs ouvrages dont la remise en état était interdite.
Conformément à ce que nous avions soutenu en requête, le Conseil d’Etat a notamment retenu que le Gouvernement ne pouvait valablement considérer :
– Qu’un ouvrage en lit mineur présentant une hauteur de 50 cm au moins est nécessairement un obstacle à la continuité écologique au sens de l’article L 214-17 du Code de l’environnement.
Rappelant ses décisions adoptées au titre des deux précédentes tentatives de définition restrictive de la continuité écologique réalisées par circulaires ministérielles partiellement annulées de 2010 et 2013, le Conseil d’Etat confirme qu’un tel critère absolu ne peut légalement être retenu, la loi ainsi que les débats parlementaires prévoyant que le critère d’obstacle à la continuité écologique doit être apprécié au cas par cas.
A ce titre, la méconnaissance par la Direction de l’Eau et de la Biodiversité de la loi, de la volonté du législateur et enfin de la jurisprudence du Conseil d’Etat est sanctionnée.
– Que la restitution à l’aval d’un ouvrage de prise d’eau du seul débit réservé ou débit minimum biologique serait nécessairement un obstacle à la continuité écologique, dans la mesure où – précisément – le débit minimum biologique prévu à l’article L 214-18 du Code de l’environnement a pour objet de permettre de garantir la vie, la circulation et la reproduction du poisson.
A ce titre, la méconnaissance de la loi par la Direction de l’Eau et de la Biodiversité est également sanctionnée.
L’ensemble de ces dispositions étant liées, le Conseil d’Etat annule dans le même temps le II. de l’article R 214-109 du Code de l’environnement qui concernait la remise en état des barrage de prise d’eau fondés en titre.
Cette décision, qui est sans recours, est d’application immédiate.
Dans ces conditions :
– Les dispositions de l’article R 214-109 du Code de l’environnement modifiées par le décret du 3 août 2019 cessent de produire effet à compter de ce jour.
– Toute décision administrative fondée sur les dispositions de l’article R 214-109 du Code de l’environnement en vigueur depuis le 3 août 2019 et jusqu’à ce jour est entachée d’illégalité, son annulation pouvant être sollicitée devant le juge administratif si le délai de contestation court toujours ou encore si un recours a déjà été engagé.
Dans les autres cas (délai de recours dépassé ou recours déjà jugé définitivement), il est possible de saisir le Préfet d’une demande de retrait de la décision qui serait fondée sur ces dispositions au visa de l’article L 243-2 du Code des relations entre le public et l’administration.
– Il est à nouveau possible de déposer une demande d’autorisation environnementale pour la création et/ou la modification d’un ouvrage hydraulique sur un cours d’eau classé en Liste 1, sous réserve que le projet ne soit pas de nature à constituer un obstacle à la continuité écologique, cette existence d’un obstacle à la continuité écologique devant à nouveau donner lieu à une appréciation au cas par cas.
Pour conclure, il est précisé que le recours formé par la Fédération Nationale de Pêche ainsi que France Nature Environnement, qui visait l’article 2 du décret (création d’un nouveau cas de cours d’eau atypique pour les cours d’eau de type méditerranéens) est quant à lui rejeté. »