ACTUALITÉS ÉOLIENNES : le point sur nos combats et perspectives
L’actualité judiciaire de ces derniers jours a été particulièrement riche dans le domaine de l’éolien.
Les décisions rendues ne peuvent se limiter à un combat pour ou contre l’installation d’aérogénérateurs ; elles touchent plus largement – d’une part, à l’avenir de diverses formes d’énergie, leur incidence sur les paysages et le cadre de vie – et d’autre part, aux relations entre les citoyens réunis dans les associations et les élus dans le domaine, vaste, du cadre de vie.
La présente note, destinée à tous, s’efforce de faire le point de nos combats et des perspectives.
La question de l’énergie éolienne terrestre : vers la fin d’un tarif bonifié ?
Les règles du marché unique européen exigent une stricte égalité entre les opérateurs économiques de ce marché. En conséquence, lorsqu’un État subventionne ses propres opérateurs nationaux, il doit, à peine de nullité, notifier la nature et le montant de ces aides à la Commission de Bruxelles. C’est la Commission qui peut les autoriser ou les interdire. Son pouvoir d’appréciation sera fondé soit sur l’intérêt social de l’aide, soit sur la circonstance que l’aide ne modifie pas sensiblement les coûts de fabrication du produit vendu ou, en tous cas, ne crée pas de réelles distorsions de concurrence.
La dernière série d’arrêtés ministériels français concernant le prix de l’énergie (dont le prix de rachat par EDF de l’énergie produite par l’énergie du vent) a été publiée en 2008. L’examen attentif de l’arrêté propre à l’éolien a permis de constater que le gouvernement français subventionnait les promoteurs éoliens pour la fabrication et l’implantation des aéro-générateurs et autorisait le distributeur (l’EDF) à récupérer dans son tarif applicable aux consommateurs le coût de la subvention.
Une association, Vent de Colère, a attaqué devant le Conseil d’Etat l’arrêté tarifaire de 2008. Le Conseil d’Etat a estimé devoir poser à la Cour de Justice de l’Union Européenne une question préjudicielle à la solution du litige. La Cour de justice dans un arrêt rendu en décembre dernier a dit et jugé que la subvention versée par le gouvernement était bien une aide indirecte qui aurait dû être notifiée à la Commission pour lui permettre éventuellement de s’y opposer.
Sur la base de cette réponse préjudicielle, le Conseil d’Etat a tenu le mercredi 7 mai 2014 une audience au cours de laquelle le rapporteur public, magistrat qui s’exprime en toute indépendance et dont l’avis est très souvent suivi par la formation de jugement, a conclu à l’annulation du tarif de 2008 et au remboursement des intérêts équivalents à ceux que les promoteurs éoliens auraient payé s’ils avaient dû emprunter les sommes reçues de l’Etat. Reste à attendre l’arrêt qui interviendra d’ici deux à trois semaines.
La décision que rendra le Conseil d’Etat risque de faire mal à la filière éolienne car il sera difficile au Conseil d’Etat de valider le passé en ne donnant force exécutoire à son arrêt que pour l’avenir : en effet, la Cour de justice a estimé que le gouvernement français était de mauvaise foi dans cette affaire et ne méritait pas, pour ce qui concerne le volet européen, cette absence de rétroactivité. On voit mal le Conseil d’Etat être d’un avis différent. Les entreprises devront donc payer des intérêts sur 500 millions par an depuis 2008, soit sur 6 ans.
Ici ou là des particuliers commencent à demander à EDF, le remboursement de l’excédent tarifaire qu’ils ont réglé dans leur note d’électricité… Affaire à suivre.
Bien entendu, compte-tenu des enjeux le gouvernement n’a pas attendu la décision pour préparer un nouvel arrêté tarifaire. Toujours avec des subventions mais cette fois régulièrement notifiées à la Commission, laquelle, en mars dernier a fait savoir à la France que ces aides n’étaient pas telles qu’elles modifiaient substantiellement les conditions du marché unique de l’énergie. On devrait donc, ces jours-ci, voir paraître un nouvel arrêté tarifaire. Cependant il ne devrait avoir qu’une portée limitée dans le temps. Il se développe, en effet, un débat de fond dans le milieu des promoteurs éolien et des producteurs d’énergie.
Si l’on synthétise ce débat, disons qu’il oppose les grandes entreprises de production d’énergie : EDF, Areva, GDF Suez… et les PME TPE de la filière.
Les grandes entreprises se plaignent du poids de toutes les difficultés atteignant les éoliennes sur l’investissement dans les énergies classiques : fossiles ou nucléaires. Selon elles, les investisseurs se détournent des filières classiques, ce qui constitue un danger pour l’essentiel de leur activité. L’énergie du vent étant encore peu de chose par rapport à la production globale d’énergie.
Elles souhaitent donc que les tarifs d’électricité protégés soient remplacés par des appels d’offre. En ce cas, bien sur les TPE et PME ne pèseront pas lourd dans ce type de concurrence. Elles n’hésitent pas non plus à déclarer qu’il faudrait purement et simplement supprimer les subventions pour éviter toute difficulté : deuxième risque de disparition pour les petites entreprises qui cherchaient surtout les effets d’aubaine.
Par ailleurs, on perçoit bien que ces grands groupes sont aujourd’hui plus intéressés par l’éolien Offshore que par l’éolien terrestre et ses multiples difficultés juridiques.
L’observation de l’actualité devrait nous en apprendre plus assez prochainement.
QPC – L’application de l’article 7 de la Charte de l’environnement aux schémas régionaux éoliens : une inconstitutionnalité partielle qui ne prendra effet qu’à partir… du 1er janvier 2015
Patrimoine-Environnement et les autres associations du G8 Patrimoine ont saisi les tribunaux administratifs contre une très grande partie des schémas régionaux éoliens promulgués par les préfets de région.
Parmi ceux-ci, le schéma d’Île-de-France a été attaqué devant le tribunal administratif de Paris lequel a estimé devoir s’assurer de la régularité constitutionnelle de la procédure de participation du public organisée par le code de l’environnement pour l’élaboration de ces fameux schémas régionaux :
Selon la procédure, le Tribunal administratif de Paris a demandé à la juridiction suprême dont il dépend, le Conseil d’Etat, de poser au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité dite « QPC ».
Sommairement vous le savez : l’article 7 de la Charte de l’environnement, rendue constitutionnelle par le président Chirac en 2005 dispose que : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement».
Pour satisfaire à cette prescription constitutionnelle, le législateur avait prévu dans l’article L222-2 du code de l’environnement, qu’avant que ne soit arrêté un schéma régional éolien par le préfet de région, celui-ci devait « avoir été mis pendant une durée minimale d’un mois à la disposition du public sous des formes, notamment électroniques, de nature à permettre sa participation».
Il était demandé aux sages de la rue Montpensier de dire si cet article L222-2, dans la phrase citée, était suffisant pour que l’on puisse considérer que le public avait été mis à même de participer à l’élaboration de la décision préfectorale.
Dans un arrêt rendu le 7 mai dernier, le Conseil constitutionnel a jugé « qu’en fixant la durée minimale pendant laquelle ce schéma est mis à la disposition du public et en déterminant la forme de cette mise à disposition, qui doit être faite notamment par voie électronique, le législateur s’est borné à prévoir le principe de la participation du public sans préciser «les conditions et les limites » dans lesquelles doit s’exercer le droit de toute personne de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ; qu’il a renvoyé à un décret en Conseil d’État le soin de fixer ces «conditions et limites» ; que «ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative n’assurent la mise en œuvre du principe de participation du public à l’élaboration des décisions publiques en cause ; qu’en adoptant les dispositions contestées sans fixer les conditions et limites du principe de la participation du public, le législateur a méconnu l’étendue de sa compétence ; que, par suite, la première phrase du premier alinéa de l’article L. 222-2 du code de l’environnement doit être déclarée contraire à la Constitution».
Autrement dit, et comme le Conseil constitutionnel l’a dit à plusieurs reprises, nous savons que le public doit être consulté sur « l’élaboration de la décision » qui touche à son cadre de vie. Nous savons aussi que c’est la loi qui doit fixer les conditions et les limites de cette consultation et non un décret. Mais nous ne savons pas quelles sont ces conditions et limites. En tous cas nous savons que donner un délai d’un mois au public pour s’exprimer par voie numérique sur la question est insuffisant et dans le temps et sur le fond.
Nous aurions pu crier victoire si les juges constitutionnels en étaient restés là, car tous les schémas éoliens élaborés au moyen de cette procédure eussent été déclarés contraires à la Constitution.
Malheureusement usant d’une faculté que la Constitution lui reconnait, le Conseil a jugé que son arrêt ne s’appliquerait qu’à partir du 1er janvier 2015, une application rétroactive étant génératrice « de conséquences excessives ».
S’agit-il d’une victoire à la Pyrrhus ? Certes, comme l’a écrit notre avocat Maître Monamy, le Conseil constitutionnel lorsqu’il a été saisi sur le fondement de l’article 7 de la Charte de l’environnement n’a jamais encore, dans les sept cas l’ayant conduit à prononcer une non-conformité a la Constitution, donné à sa décision une force exécutoire immédiate. Malgré les efforts de notre Conseil, il n’a pas voulu cette fois encore changer de jurisprudence.
Cela conduira-t-il le Tribunal administratif de Paris et d’autres tribunaux administratifs saisis d’autres schémas régionaux à valider ces arrêtés ? Non bien sûr. Les autres moyens invoqués par nos avocats restent à examiner devant des juges certainement impressionnés par la constatation de la fragilité de la procédure sur ce point particulier.
Il restera donc à nos avocats la mission de tirer devant les juges du fond le meilleur parti de cette situation nouvelle.
Restera à notre association nationale et aux autres associations du G8 à saisir les autorités gouvernementales et parlementaires d’un vrai projet de loi disant ce que doit être la participation du public à l’élaboration des décisions environnementales.
Cela est désormais une action indispensable.
Implantation d’éoliennes : les ordonnances dites de « simplification » bientôt attaquées
Depuis le début de l’aventure éolienne, le lobby des entreprises éoliennes cherche à obtenir au Parlement des droits nouveaux en matière d’urbanisme. Toute victoire des anti-éoliens devant les tribunaux ou au Parlement donne lieu à une riposte sur le terrain législatif ou réglementaire.
L’adoption par le Parlement d’un texte-cadre autorisant le gouvernement à légiférer par ordonnance est le dernier avatar de cette guerre nouvelle.
Deux ordonnances du 20 mars 2014 organisent d’une part, le droit de délivrer une autorisation unique valant permis de construire et autorisation d’exploiter un établissement classé pour la protection de l’environnement applicable aux mats éoliens et d’autre part, la délivrance d’un « certificat de projet » valant certificat d’urbanisme en matière d’éolienne.
Ségolène Royal a signé récemment le 1er décret d’application de ces ordonnances qui prévoit des régions d’expérimentation du nouveau dispositif.
Les ordonnances valant texte législatif doivent être ratifiées par le Parlement mais, en attendant cette ratification, elles peuvent être attaquées devant la juridiction administrative comme un acte réglementaire du Gouvernement. Les décrets d’application peuvent, quant à eux, toujours être attaqués.
Les associations du Patrimoine et les associations anti-éoliennes s’apprêtent à attaquer les ordonnances en question et le décret devant le Conseil d’Etat.
Conclusion provisoire de cette conjecture
Les associations du Patrimoine continuent à faire leur travail, devant les tribunaux de tous niveaux, et à défendre les paysages conformément aux principes généraux du droit international et à la Constitution.
Mais l’on voit bien que cette guerre, épuisante pour tous, devra, comme toute guerre, faire l’objet d’un traité de paix dont l’idéologie énergétique devra être absente : oui au progrès énergétique mais non à celui qui n’est pas compatible avec le paysage.
Et surtout quand appliquera-t-on les principes voulus par les écologistes ? Parmi d’autres : écoutons le public et les associations qui le représentent.
Alain de la Bretesche
Président-délégué de Patrimoine-Environnement