Le Seuil du Poitou ? On s’en fout
Le Seuil du Poitou, d’une largeur de 70 kilomètres entre le massif armoricain et le massif central, marque la limite entre le bassin parisien au nord et le bassin aquitain, au sud. Il faut aller sur ses bords, dans le département des Deux-Sèvres au nord-ouest, dans ceux de la Vienne et de la Charente au sud-est, pour apprécier son vaste paysage. En travers du seuil, près de son milieu, une butte de 6 kilomètres de long en est la formation la plus caractéristique et le point culminant, à une altitude de 195 mètres. C’est le horst de Champagné Saint-Hilaire, dans la Vienne. Le mot allemand horst désigne en géologie un compartiment soulevé entre deux fossés, dont celui de Champagné est un exemple remarquable en France. Du village de Champagné, par beau temps, on voit les clochers de Poitiers, à plus de trente kilomètres au nord.
C’est précisément sur cette butte qu’un promoteur projeta en 2013 d’ériger quatre éoliennes d’une hauteur de 150 mètres. Pour son site, la butte de Champagné Saint-Hilaire ne figurait évidemment pas dans les zones où le développement éolien était préconisé. En outre, elle voit passer une faune volante très riche pour lesquelles les éoliennes représentent un grave danger. On y trouve notamment un rapace migrateur, le circaète Jean-le Blanc et une chauve-souris de haut-vol, également migratrice, la noctule de Leisler.
La population fut consultée par enquête publique et marqua sa vive opposition aux éoliennes. Les services de l’Etat donnèrent des avis défavorables, de même que la commission départementale de la nature, des sites et des paysages. Le refus du projet par le Préfet étant inéluctable, le promoteur décida de le retirer. C’était en 2016.
Allait-on en rester là sagement ? En 2017, le promoteur présente un nouveau projet. Les impacts environnementaux seraient limités, puisqu’il n’y a plus que trois éoliennes, sur une zone d’implantation plus réduite et un positionnement légèrement modifié. Ça change tout ! On a appris plus tard que les propriétaires du terrain de la quatrième éolienne, agissant en qualité d’héritiers de leur grand-mère paternelle, avaient dénoncé le bail qu’elle avait signé en 2014 au motif qu’elle était atteinte de la maladie d’Alzheimer.
Nouvelle enquête publique, nouvelle opposition de la population, vote défavorable de la municipalité. Mais cette fois-ci le commissaire enquêteur donne un avis favorable et la Préfète signe l’autorisation. Puis, sans nouvelle enquête publique, la Préfète de la Vienne autorise une hauteur des éoliennes de 180 mètres. Pour 20% de longueur des pales en plus, la place prise par chaque éolienne dans le paysage est augmentée de 44%.
Mais l’ambiance a changé. Le paysage ne compte plus, ni la protection de la faune, l’opinion des habitants encore moins. Tout doit plier devant la peur de manquer d’électricité non émettrice de CO2.
Non loin de Champagné Saint-Hilaire se trouvent les imposantes ruines médiévales du château de Gençay, qui font l’objet de l’attention de l’État depuis que Mérimée les a inscrites sur la liste des monuments historiques en 1840. Le programme de restauration que j’ai commencé il y a trente ans est bien subventionné. Il va bientôt permettre aux visiteurs d’accéder aux sommets des remparts pour jouir de la vue entièrement préservée en direction de la butte de Champagné. Où est la cohérence ?
Le Seuil du Poitou ? On s’en fout.
Kléber Rossillon