Beynac dans le projet de loi des énergies renouvelables. Où va le gouvernement ?
Le Gouvernement vient de déposer au Sénat un projet de loi d’accélération des énergies renouvelables, en procédure d’urgence. Outre des mesures positives, son article 4 met pour quatre ans les projets d’énergie renouvelable au-dessus des lois en leur attribuant une raison impérative d’intérêt public majeur. La Fédération Patrimoine-environnement réagit avec les autres associations nationales du patrimoine du G7 (voir l’éditorial).
Mais l’article 4 contient aussi une curieuse disposition d’allure technique qui prévoit que « la déclaration d’utilité publique puisse valoir reconnaissance du caractère d’opérations répondant à des raisons impératives d’intérêt public majeur ».
Elle n’a rien à voir avec l’accélération des énergies renouvelables dont les projets ne nécessitent pas de déclaration d’utilité publique à fin d’expropriation.
Elle vise les projets d’aménagement dans les sites naturels, qu’elle perturbe en mélangeant des dispositions du code de l’expropriation (la déclaration d’utilité publique) et du code de l’environnement (la dérogation à la protection des espèces protégées, qui nécessite une raison impérative d’intérêt public majeur). Il s’agit de deux législations d’objets différents et qui n’ont pas nécessairement le même calendrier. L’article 4 introduit une régression de la protection de l’environnement dans la mesure où l’intérêt public n’est plus apprécié au moment des atteintes portées à la nature qui peuvent avoir lieu des années après les expropriations.
D’où vient cette nécessité de légiférer en urgence qui, par la ruse d’Ulysse, se cache sous le blanc mouton écologique des énergies renouvelables ?
Le gouvernement, qui a abondamment communiqué sur la loi, n’a rien dit, et il faut en trouver la raison au détour d’une étude d’impact de 200 pages. Cette raison provient d’un cas unique : la déviation de Beynac, en Dordogne, projet routier dans un site magnifique, dont l’arrêt a été en 2018 une grande victoire des associations du patrimoine et de la nature réunies.
Leur combat avait commencé en 1989. S’y reprenant à trois fois, le porteur de projet-le département de la Dordogne- avait fini par obtenir en 2001 une scandaleuse déclaration d’utilité publique. Puis, après avoir longtemps traîné, le département sous l’impulsion d’un nouveau président a voulu reprendre les travaux en 2017. Comme ils touchaient au lit de la Dordogne et à ses nombreuses espèces protégées, il fallait une raison impérative d’intérêt public majeur. L’enquête publique fut sans appel : une participation exceptionnelle et 88% d’avis défavorables. En même temps, 220 000 signatures refusant le projet (sur papier, avec le nom et le domicile du signataire), étaient déposées sur les bureaux des ministres de la culture et de l’écologie. Malgré cela, un nouveau préfet de la Dordogne signa un arrêté d’autorisation et le département entama à toute bride les travaux avant le couperet de la justice administrative, allant jusqu’à faire couler du béton entre Noël et le jour de l’an pour créer le fait accompli. Mais la décision tomba en 2018. Le Conseil d’Etat confirma ce que l’enquête publique avait mis en évidence : l’intérêt public d’une déviation était limité, des travaux réalisés par la commune de Beynac avaient réglé la question des encombrements sur la route à dévier. Le département a ensuite été condamné à remettre la nature en état dans le même délai que le temps des travaux commencés : un an.
La législation actuelle (en l’occurrence l’article L. 411-2 du code de l’environnement qui pose une exigence de raison impérative d’intérêt public majeur) a donc été parfaitement mise en œuvre à Beynac. Elle l’a été avec célérité, de 2017 à 2018. Elle n’a nullement empêché les travaux utiles qui ont résolu la question de l’encombrement de Beynac tout en préservant un site magnifique.
On ne comprend l’article Beynac que si on sait que le Président du département de la Dordogne, depuis 4 ans, refuse d’appliquer le jugement de remise en état des lieux. Il s’agit pour lui de discréditer la loi et les décisions de justice qui l’appliquent, pour faire passer la nouvelle demande de travaux qui coïncide avec ce cavalier législatif.
A quel jeu joue le gouvernement ? Veut-il se rendre complice de la destruction du site de Beynac ?
Kléber Rossillon