Quel rôle ont les entrées de ville vis-à-vis des centres-villes et de l’étalement urbain ?
Les entrées de ville peuvent être des zones périphériques délaissées en termes de qualité paysagère, il n’en demeure pas moins que, surtout en ce qui concerne les villes moyennes, elles peuvent aussi être l’occasion de créer de nouveaux quartiers, parfois même innovants en matière d’écologie.
Ces questions sont au cœur du concours national “Reconquête des entrées de ville, de bourg, de territoire et de leurs franges”. Initié en 2001 par la LUR, il allait à partir de 2012 être organisé par Patrimoine et Environnement et est rejoint finalement par Sites et cités remarquables de France. Le but du concours est de récompenser des requalifications d’entrées de ville innovantes et intéressantes en termes de paysage, d’accessibilité aux mobilités douces, de mise en valeur du patrimoine construit ou non, mais surtout en termes de cohérence de la politique d’urbanisme de la ville dans le lien entrée de ville et cœur de ville.
Certes, mais un quartier peut-il réellement avoir des vertus “écologiques”, s’il participe à l’étalement urbain et à l’artificialisation des sols ? En outre, recréer des activités commerciales et rendre attractifs ces quartiers en entrée de ville ne serait-il pas problématique pour les centres-villes et leurs petits commerces déjà en perte de fréquentation ? Mais alors, comment requalifier des entrées de ville en évitant cet écueil ? En somme, quelle place donner aux entrées de ville ?
Nous avons voulu approfondir ces questions avec Yves Steff, architecte urbaniste et cofondateur de l’agence AUP, nouvellement agence PAUME, et membre du Conseil d’Administration de Patrimoine-Environnement. Ayant une expérience de plus de quarante ans dans l’aménagement urbain et le patrimoine du grand ouest particulièrement et étant à deux reprises lauréat du concours Entrées de ville, il porte un regard de l’intérieur sur l’évolution de la place des entrées de ville.
Patrimoine-Environnement : Quelles évolutions ont subi les entrées de ville, notamment depuis l’amendement Dupont de 1995 ? (1)
Yves Steff : Il faut savoir qu’avant la démocratisation de la voiture, les faubourgs étaient surtout résidentiels, parfois animés par des artisans. C’est avec l’arrivée des grandes surfaces alimentaires que les commerces ont commencé à s’implanter dans les zones périphériques, avec des espaces de stationnement immenses au bord des grandes voies d’accès aux centres-villes, n’y trouvant plus les espaces leur permettant de se développer. Cet étalement s’est fait de façon désordonnée, à la recherche de l’effet vitrine.
Aujourd’hui on constate que les communes, non seulement, cherchent à valoriser davantage l’aspect paysager et à développer les mobilités douces dans ces entrées de ville, mais y construisent aussi des bureaux et des logements car l’essor des grandes surfaces commence à s’essouffler. Les activités ont tendance à se concentrer plus qu’à s’étaler. Cela résulte de plusieurs phénomènes : d’une part l’accroissement du commerce en ligne, d’autre part les efforts des villes ciblés sur leurs centres et les commerces de proximité et enfin, bien sûr, de l’amendement Dupont sur les entrées de ville en 1995.
(1) Le premier janvier 1997 est entré en vigueur l’amendement Dupont. L’article L 111-1-4 du code de l’urbanisme a un but pédagogique : amener les communes à réfléchir sur leurs espaces d’entrée de ville et qui pose le principe d’une inconstructibilité des abords des grandes voies de circulation dans leurs parties situées dans les « espaces non urbanisés ». Le champ d’application est donc large puisqu’il s’applique dans toutes les communes, qu’elles soient dotées ou non de documents d’urbanisme.
P.-E. : Quelle est la place des entrées de ville dans le lien avec leurs centres-villes ?
Y.S. : Le problème aujourd’hui est qu’en valorisant les entrées de ville, les nouvelles activités créent des pôles commerciaux et culturels qui concurrencent encore plus les centres-villes. Or ceux-ci correspondent aux centres historiques, où se concentre la plus grande partie du patrimoine de la ville, qui doit davantage profiter à tous les habitants de la commune et aux visiteurs venant de l’extérieur, ainsi qu’aux touristes !
Les entrées de ville sont, de fait, un lieu de passage entre la périphérie et le centre. Ce sont des lieux qui doivent donner envie de se rendre dans le cœur de la ville lorsqu’on arrive d’ailleurs et qui doivent mener au cœur sans arrêter le visiteur. Le but est donc de rendre l’entrée dans la ville agréable à pratiquer, mais celle-ci doit donner envie d’aller plus loin et de ne pas s’arrêter aux abords de la ville. Bien sûr, les transports en commun et le développement de pistes cyclables aident à rendre accessible le centre des villes, mais la limitation de l’usage de la voiture dans les centres réoriente certains visiteurs vers d’autres pôles attractifs et plus accessibles aux voitures, dont ils ne peuvent ou ne veulent parfois pas se passer pour des questions pratiques : courses, enfants, lieu de résidence éloigné… Ces autres pôles peuvent même se trouver plus loin que le centre, dans des villes alentour ou bien des zones commerciales à l’extérieur. Il serait peut-être pertinent d’encourager leur venue vers les centres en autorisant l’accès à certains types de véhicules individuels, uniquement les plus propres par exemple, et en mettant en avant la qualité des centres-villes, de leurs commerces et leur convivialité, plutôt que les décourager.
P.-E. : Quels rôles ont aujourd’hui pris les entrées de ville, notamment face à l’étalement urbain ?
Y.S. : Les villes continuent, pour la plupart, à gagner des habitants, et les centres-villes sont souvent compliqués à densifier. Cela étant, la restructuration des entrées de ville peut permettre de contribuer à la lutte contre l’étalement urbain. Elles ont vieilli et sont peu denses, leur restructuration permettrait donc de créer des logements dans des bâtiments existants ou des bureaux, dans des quartiers bien pensés et agréables à vivre. Sans augmenter la surface des sols artificialisés, reconstruire sur des bâtiments des années 70 ou 80 qui n’ont pas tenu le coup, c’est quelque chose qui se fait beaucoup, comme les constructions de HLM dans les dents creuses des villes à une époque ! C’est important de prendre en compte toutes les classes sociales, autant en entrée qu’en cœur de ville : diversifier les commerces tout en gardant le centre-ville vivable pour ses habitants, sans tomber dans la “touristification” intensive ou la ville-musée. Une ville vit avant tout par ses habitants, même si chacun a tout intérêt à partager son patrimoine, son centre et ses monuments historiques !
P.-E. : Comment rendre plus agréables et praticables les entrées de ville sans faire concurrence aux centres-villes et en évitant la logique de l’étalement urbain ?
Y.S. : Comme évoqué plus tôt, le but n’est pas de faire concurrence aux centres-villes, mais de donner envie de s’y rendre. Dans la possibilité d’aménager l’entrée de ville, je ne vois pas seulement des aménagements de voiries, comme trop souvent de nouveaux ronds-points mais l’occasion d’impulser des changements de pôles d’activité en créant souvent des boulevards urbains composés de flux divers : vélo, tramway, voiture, piétons… Cela offre alors une voie d’accès agréable, avec une qualité paysagère et des espaces conviviaux, tout cela bordé de logements agréables à vivre ouvrant des vues sur les espaces verts aménagés en cœur d’îlot, et quelques petits commerces de proximité en rez-de-chaussée.
C’est une des façons de voir et modeler l’entrée d’une ville, mais il n’y a pas de solution unique, chaque ville façonne cela comme elle peut, comme elle veut et en suivant sa politique urbaine propre, adaptée à ses qualités morphologiques. Le cas de Bordeaux et ses aménagements du bord de la Garonne est intéressant, car la Ville a parallèlement gardé une grande qualité de commerces en centre-ville et utilisé ses quais comme entrée de ville, ce qui fait que le centre ne perd pas en intérêt et en fréquentation avec l’aménagement de ses quais, au contraire ! Il y a des innovations à trouver au niveau de l’urbanisme des entrées de ville, chaque ville peut y voir une histoire à réinventer !
La 16ème édition du concours “Reconquête des entrées de ville” prolonge son délai de dépôt des candidatures jusqu’au 5 mai. Elle a pour thème “Par terre, fer et eau”. Cette année, deux catégories peuvent concourir : les collectivités de plus de 2000 habitants et celles de moins de 2000 habitants. Le thème étant “Entrées de ville par terre, fer et eau”, la diversité des opérations offre des réflexions multiples sur la problématique du lien de l’entrée de la ville avec son centre et différentes visions d’urbanisme constructives de requalification d’entrée de ville.
La sélection des dossiers et la remise des prix auront lieu respectivement en été et automne 2021.
Pour plus d’informations sur ce concours, rendez-vous sur :
http://www.patrimoine-environnement.fr/concours-national-des-entrees-de-ville/