La loi ELAN attaquée par les centres commerciaux
Dans le cadre d’un recours contre le décret n° 2019-331 du 17 avril 2019 relatif à l’habilitation des organismes chargés de réaliser des études d’impact, le Conseil national des centres commerciaux (CNCC) avait obtenu le renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité en décembre 2019 au Conseil Constitutionnel, relative aux dispositions de la loi ELAN (portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique) de novembre 2018.
Le CNCC souhaitait faire supprimer des dispositions de la loi ELAN qui brideraient selon lui la liberté d’entreprendre, notamment celle relative aux autorisations commerciales. Le CNCC a été débouté par le Conseil constitutionnel dans une décision du 12 mars 2020.
Étaient en cause dans cette affaire notamment, les dispositions portant sur les autorisations d’exploitation commerciale (AEC) modifiées par la loi ELAN. Par la lettre de son article 166, la loi, poursuivant la lutte contre la dévitalisation commerciale de certains territoires, a ajouté au code de commerce une étude d’impact menée par un bureau indépendant[1]. Désormais, à l’article L752-6 du code de commerce[2], les demandeurs ont une obligation de faire procéder à la réalisation d’une étude d’impact évaluant les effets du projet sur l’animation et le développement économique des centres villes du territoire, ainsi que sur l’emploi. L’étude doit également établir qu’aucune friche existante en centre-ville, ou à défaut, en périphérie ne permet d’accueillir le projet. Auparavant, les constructeurs ne devaient que présenter leur projet, à savoir l’identité du vendeur et des acteurs, les surfaces de vente, l’accessibilité, l’étude du trafic, pour obtenir l’AEC. Il n’y avait pas d’obligation d’expliciter son choix, ni de définir la zone de chalandise du projet. Selon certains auteurs, la loi ELAN instaurerait l’équivalent d’une présomption de malveillance des constructeurs[3].
Le CNCC a demandé l’annulation de cette mesure, ainsi que de deux autres encore en évaluation devant le Conseil d’Etat : l’instauration d’un moratoire des demandes d’AEC en périphérie des opérations de revitalisation de territoire (ORT) et le contrôle a posteriori du respect de l’AEC exercé via le certificat de conformité.
Pour le CNCC, l’étude d’impact porterait atteinte au principe de constitutionnalité, ainsi qu’à la liberté d’entreprendre car « aucun motif d’intérêt général ne permettrait de justifier ces différentes dispositions, qui poursuivaient, non une finalité d’aménagement du territoire, mais un objectif purement économique de protection des commerçants des centres villes, en limitant l’implantation de grandes surfaces commerciales en périphérie des communes ».[4]
Concernant les ORT, ces dernières sont des conventions passées entre différents acteurs du territoire (Etat, intercommunalités, établissements, etc.) pour un projet de revitalisation d’un territoire. En présence d’une ORT il n’y a pas besoin pour les demandeurs de procéder à une étude d’impact. Cela revient selon le CNCC à favoriser certaines communes et à privilégier les constructeurs déjà installés. Le contrôle a posteriori, lui aussi, pose problème au CNCC, car l’AEC pouvant être amenée à changer en cours de réalisation, il n’est donc pas en adéquation avec la réalité du terrain.
Pour le Conseil Constitutionnel cependant, l’instauration d’une étude d’impact ne représente qu’un nouveau critère pris en compte par les Commissions d’aménagement commerciales dans l’appréciation d’un projet sur l’aménagement du territoire. Elle permettrait également le rééquilibrage des agglomérations pour le développement des activités en centre-ville. Ces dispositions ne subordonnent en aucun cas la délivrance de l’AEC à l’absence d’effet négatif sur le tissu commercial des centres villes. L’analyse « s’appuie notamment sur l’évolution démographique, le taux de vacance commerciale et l’offre de mètres carrés commerciaux existants dans la zone de chalandise pertinente; les dispositions contestées [du] paragraphe III n’instituent aucun critère d’évaluation supplémentaire». Des limitations à la liberté d’entreprendre sont donc possible dès lors qu’elles sont justifiées par l’intérêt général et qu’elles ne constituent pas une atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi.[5]
Pour Dorian Lamarre, Directeur des affaires publiques au CNCC, « la démarche de contestation s’inscrit dans un contentieux plus global »[6].
Un recours en manquement a été lancé auprès de Bruxelles car la loi, en attentant à la liberté d’entreprendre, serait contraire à la directive européenne Services de 2006 libéralisant le marché intérieur.[7]
Bruxelles peut décider de classer ou d’instruire l’affaire, et demander à la France de changer sa législation. Selon le CNCC, d’autres pays tels que la Hongrie auraient déjà vu leurs lois être modifiées par la Commission Européenne pour des moratoires plus légers que celui prévu par la loi ELAN.
Affaire à suivre…
[1] https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000037639478&categorieLien=id#JORFARTI000037639669
[2] https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000037671166&cidTexte=LEGITEXT000005634379&dateTexte=20181125
[3] https://www.businessimmo.com/contents/117224/les-flops-de-la-loi-elan
[4] https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2020/2019830QPC.htm
[5] Ibid
[6] https://www.banquedesterritoires.fr/urbanisme-commercial-la-croisade-des-centres-commerciaux-contre-la-loi-elan?pk_campaign=newsletter_hebdo&pk_kwd=2020-03-20&pk_source=Actualit%C3%A9s_Localtis&pk_medium=newsletter_hebdo
[7] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32006L0123