Quelques vironzis* sur la Dordogne
*Vironzi : zig-zag en patois périgourdin
D’aucuns affirment qu’au mois d’août les Français vont de plus en plus souvent voir des amis dans nos provinces, plutôt que d’être la cause de dépenses indues de kérosène. Il n’était donc pas anormal que François Hollande – qui nous tient très au courant de ses déplacements – se rende, en compagnie de Julie Gayet, chez l’un de ses amis : Germinal Peiro, président du Conseil départemental de la Dordogne que Stéphane Bern a baptisé, il y a peu, le « Ceausescu du Périgord ».
Quoi de plus normal que de proposer une balade, entre amis, au bord de la Dordogne, dans cette vallée emblématique où l’on peut voir quatre châteaux protégés au titre des Monuments Historiques et une rivière inscrite et protégée par l’Unesco au titre de réserve de biosphère, la plus grande parmi les onze reconnues en France.
On aura remarqué que les journalistes et photographes, non pas ceux de Closer cachés dans les buissons, mais les sérieux de la presse locale avaient été invités à la même balade… Bien sûr « Monsieur le Président, vous feriez bien une petite déclaration sur le feuilleton de la déviation de Beynac ? ».
Et le président de la normalité de déclarer : « Je voulais voir ce qu’il pouvait y avoir comme éventuelles agressions sur le plan visuel. Je n’en ai vu aucune. Je considère que ce chantier est exemplaire. ». Et Monsieur Peiro de remercier chaleureusement son « ami » de ce soutien qui rejoint celui d’Alain Juppé lequel, de la rue Montpensier ne peut plus démentir. Faut-il rappeler que les agressions ne sont pas seulement visuelles mais également environnementales dans ce site en zone Natura 2000 dont la liste des espèces protégées affectées par le projet comprend quatre espèces de mammifères semi-aquatiques et terrestres, dix-neuf espèces de chiroptères, quatre-vingt douze espèces d’oiseaux, neuf espèces de reptiles et amphibiens etc ?
Il ajoute à sa liste Dominique Bussereau, président de l’Assemblée des départements de France, que nous préférions lorsque, le 12 juillet dernier, il donnait son soutien au maire de Saint-Pierre d’Oléron pour sauvegarder les bruits de la campagne et le chant des coqs (cf. dernier édito). Ah la cohérence du discours politique !
Un président déchu qui veut désespérément revenir dans la lumière et qui a probablement de graves problèmes de myopie : les quatre châteaux, pas vu ! La réserve de biosphère, pas vu ! Les travaux de démolition d’un site gallo-romain, pas vu ! Les premiers travaux des deux ponts qui doivent traverser la Dordogne, pas vu ! Voilà un solide soutien.
Nicole Belloubet, garde des Sceaux en exercice, passée par là pour voir une prison, a également déclaré à la presse locale, si l’on en croit les dépêches, suite à la décision de suspension des travaux par le Conseil d’Etat et leur annulation par le tribunal administratif : « Ce que je constate, a-t-elle dit, c’est que dans les grands projets d’aménagement portés soit par l’Etat, soit par les collectivités locales, nous sommes souvent en difficulté sur la question de la sécurisation juridique des projets. Nous devons entièrement repenser notre manière de reconsidérer ces projets. ». A Patrimoine-Environnement, nous aimons bien Nicole Belloubet, mais justement, nous pensons qu’elle devrait clarifier sa pensée et ne pas se laisser entraîner dans la pente dangereuse sur laquelle ont glissé Françoise Nyssen et Nicolas Hulot qui n’ont rien pu faire, malgré leur désir profond, contre le « potentat local ». Nous sommes bien sûr prêts à en parler avec elle afin de reconstruire un droit de l’urbanisme et de l’environnement, aujourd’hui champ de ruines.
Jusqu’où ira Germinal Peiro ? A quelle personnalité importante offrira-t-il la balade aux bords de la Dordogne et les micros ? Obtiendra-t-il du président de la République une nouvelle refonte du droit pour « sécuriser » les projets du fait que son département et tous les maires qui ont signé ses pétitions par crainte de représailles budgétaires, ont dépensé beaucoup d’argent pour rien ? Mais à qui la faute ? Le Conseil d’Etat a pourtant jugé le projet de contournement comme ne répondant pas à une raison impérative d’intérêt public majeur donc non justifié.
Nous commençons à considérer que cet homme et les personnalités locales qu’il influence, comme le président de la Chambre d’Agriculture, sont un vrai danger pour la sauvegarde de l’Etat de droit. Il en sera question au cours de nos prochaines Journées Juridiques du Patrimoine 2019 – Un autre édifice en feu : le droit du patrimoine ?
On ne peut à la fois se répandre sur les tribunes pour réclamer la démocratie participative, la Justice et contester le droit d’ester en justice des associations au motif que, lorsque l’Etat et son administration ont dit « oui », la messe est dite.
Le tribunal correctionnel de Bergerac devait juger un « zadiste de Beynac » dénommé Jeremy Kerdraon qui avait commis une grave infraction : il s’était attaché pendant six jours à un engin du chantier du Conseil départemental et il était poursuivi pour avoir empêché les travaux. Ce jeune homme a été relaxé au motif que l’autorisation des travaux ayant été annulée, il ne pouvait pas les avoir illégalement empêchés.
Ce qui ne manque pas de saveur c’est que, à la sortie de l’audience du tribunal de grande instance qui avait ordonné l’expulsion des manifestants (à tort, on le sait aujourd’hui), monsieur Peiro avait déclaré « ce qui est important c’est que les gens qui font des choses illégales soit condamnés ».
Le dernier épisode du feuilleton est une condamnation personnelle de Germinal Peiro pour diffamation à l’encontre d’une association à laquelle il avait reproché « des actes délictueux » consistant à manifester contre les travaux du détournement de Beynac.
Alain de la Bretesche,
Président de Patrimoine-Environnement