Victor Hugo, un patrimoine !
« Il n’y a pas de jeunesse sans insolence » disait Eugene Ionesco invité de l’émission Apostrophe à propos d’un livre que lui-même avait écrit à 23 ans : « Hugoliade », une sérieuse charge pamphlétaire contre la poésie de Victor Hugo.
Cette insolence à l’endroit de notre gloire de la littérature, les lycéens de 2014 n’en ont pas manqué, si l’on en croit les cybers-maraudeurs, en sortant des épreuves du bac de Français.
Résumons le feuilleton : le Mammouth (Ndlr l’éducation nationale) décide que l’on testera cette année les capacités d’analyse et de réflexion de notre belle jeunesse à partir d’un un passage de Victor Hugo tiré des « Contemplations« .
Vers la moitié du poème titré « Crépuscule » on peut lire :
« L’herbe s’éveille et parle aux sépulcres dormants »
« Que dit-il, le brin d’herbe ? et que répond la tombe ? »
« Aimez, vous qui vivez ! on a froid sous les ifs »
« Lèvre, cherche la bouche ! Aimez-vous ! La nuit tombe »
« Soyez heureux pendant que nous sommes pensifs »
A peine l’épreuve terminée les lycéens se déchaînent et twittent à tout va.
Si l’on écrème les locutions par trop voyoutes (disons le tout de même assez nombreuses), l’expression des opinions de la génération montante n’est pas sans saveur – parcourons quelques pistes de la réflexion lycéenne :
Une analyse du texte qui n’est pas sans évoquer les troubles psycho-sociaux dont nous souffrons tous :
« J’avoue Victor Hugo il est pas tout seul dans sa tête. Genre le mec il compare l’amour à un tombeau »
« Victor Hugo c’est un baisé dans sa tête : un dialogue entre un brin d’herbe et une tombe ! »
« Victor Hugo enfoiré avec ton brun d’herbe ! Au lieu de nous le donner en sujet t’aurai pu le fumer ! »
Une référence à la nécessité de renforcer le potentiel intellectuel de nos contemporains au moyen des « fondamentaux » du foot ball :
« Ribery a réussi le bac de français avec le poème de Victor Hugo«
Un point de vue neutre et qui accorde le bénéfice du doute :
« On clash, on clash mais Victor Hugo il avait du flow quand même »
Et enfin, l’expression d’une radicalité intellectuelle sans concession
« Victor Hugo si j’te croise dans la rue t’es mort »
Disons-le, notre Victor National qui se vantait d’avoir « mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire ! », eut sans doute utilisé ce matériau brut de décoffrage pour l’intégrer ici ou là dans sa littérature.
Il eut cependant été surpris que cette nouvelle bataille d’Hernani se déroula « sur la toile », loin du théâtre et que les « gilets rouges » d’aujourd’hui, qui se comptent tout de même au nombre de vingt mille, ne soient ni les laudateurs des conservatrices « perruques » de 1830, ni ceux des romantiques amis de Gerard de Nerval et de Théophile Gautier, mais les jeunes gens abasourdis par l’hermétisme du grand homme et désespérés de n’avoir pas les moyens de répondre à la question du Mammouth.
Est-ce pour autant que Victor Hugo assassiné sur le WEB va disparaître dans l’oubli pour laisser la place dans le Lagarde et Michard du moment à un quelconque Houellebecq, ou un improbable Beigbeder comme veut le suggérer un célèbre commentateur radiophonique du matin. A l’école de Narcisse, il y aura toujours un Bernard Henri Levy pour s’inspirer de son art de la mise en scène de soi même. Mais de là à égaler celui qui est patrimonial par essence…
L’éternité des académiciens c’est long, « surtout vers la fin » disait Alphonse Allais, mais il n’est interdit à personne d’essayer.
Alain de la Bretesche
Président-délégué de la Fédération Patrimoine-Environnement
Président de la COFAC (Coordination des Fédérations des Associations de Culture et de Communication)
Administrateur de la Conférence CPCA (Conférence Permanente des Coordinations Associatives)
Administrateur d’Europa Nostra